To Live and Die in L.A - William Friedkin

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Parcours en trois citations dans un Friedkin clinquant et désabusé.

"Wasteland under a burning sun."

Parce que le Los Angeles qui abrite ce polar post-Hollywoodien est en effet un dédale de rues désertes, aux trottoirs balayés par un vent sale qui charrie des détritus à l'infini ; parce que maisons, appartements, hôtels luxueux ou miteux, cabinets d'avocats et halls de gare ne cherchent même plus à camoufler l'universelle carabistouille dans laquelle se délite le western d'une Amérique échouée sur les plages de Californie.
Et c'est sublime. Dès le début. Dès le générique. Nos coeurs palpitent à voir les palmiers secoués par une brise que l'on devine poisseuse, sur fond de ciel rouge malade ; à notre corps défendant -ô combien ! on se laisse emporter par la ronde incroyablement fluide et douce des limousines à petits drapeaux se garant devant un palace au rythme d'une bande-son qu'on adore détester.
Les lieux sont surdimensionnées : la villa de luxe tout en géométrie et en vide où Willem Dafoe tente de contenir ses élans psychotiques, le hangar désaffecté où il camoufle son activité criminelle, autant d' emblèmes du vide intérieur, de l'espace mental dévasté par un paysage invivable : palmiers, bretelles d'autoroute, rues sans piétons, hôtels de luxe pour chefs d'état vulgaires (à quel point nous devons voir dans ce Nouvel Hollywood terminal comme une annonce rétrospective d'un Trump au pouvoir, cauchemar temporel où le passé s'incruste dans le futur, nous ramenant aux coupes de cheveux improbables, et à tous les vices malfaisants d'un discours fasciste insupportable et bête).
Friedkin lui-même explique ce choix d'aires grises, "fringe areas" comme il le dit, par la volonté de supprimer toutes les images emblématiques pour faire de la ville un portrait radical : "I had seen Paris Texas by the german director Wim Wenders......This was the style I wanted for to live and die in LA in which the city would be portrayed as a violent, cynical wasteland under a burning sun." .
De Watts au Vincent Thomas Bridge, de la Terminal Island freeway à la prison San Luis Obispo, le LA que parcourent les buddies couillus et les criminels psychotiques mais chics est l'incarnation de ce vide qui mène leur parcours. Vengeance impossible ou gloire inaccessible, ils ne visent que l'absence et le parcours urbain le confirme à chaque plan. L.A. n'est pas une ville, c'est une impossibilité, un supplice de Tantale à ciel ouvert.

"Failure is a disease that can spread."

Cette phrase, c'est à son propos que Friedkin l'écrit, dans le chapitre de son autobiographie consacrée à "To live and die in L.A.", pour évoquer la difficulté d'un parcours dans l'industrie cinématographique qui ne pardonne guère les échecs mais qui jouit de leur mise en scène, de leur exploitation jusqu'à l'écoeurement.
Il se le tient pour dit et construit la grandeur de ses personnages autour de leur échec indépassable : la longue séquence d'ouverture nous lance sur une haletante fausse piste, à la poursuite d'un terroriste palestinien dans les couloirs du palace découvert lors du générique. Une voiture officielle, donc, sur le capot de laquelle flotte un drapeau américain en gros plan, vient se garer devant l'entrée d'un hôtel de luxe. Des flics sur-équipés et sur-entraînés sillonnent le secteur, surveillent, guettent : on l'a compris, ils protègent le président des Etats-Unis. Lunettes noires, oreillettes, une main toujours prête à saisir une arme munie d'un silencieux, et, cerise sur le biceps, le gilet pare-balles qui se dévoile quand ils tombent la veste, leur donnant un air vulnérable tout à coup, avec leurs manches de chemisettes dérisoires.
On voit l'assassinat de Kennedy bien sûr, tous les mouvements de caméra et les choix d'angle de vue sont là pour nous le rappeler. On entre apparemment dans un scénario d'espionnage, de renseignements, de CIA et de services secrets. Il n'en est rien, nous ne tarderons pas à le constater, mais le mal est fait : Friedkin crée une attente, et la comble presque avec une poursuite, déjà, dans les couloirs de l'hôtel, sur le traditionnel toit-terrasse dont le sol couvert de graviers crisse sous les talonettes de Chance pour une fois chanceux. Lui et son collègue viendront à bout d'un kamikaze palestinien décidé à se faire exploser pour la libération de son pays. Mais dans un essoufflement prémonitoire son co-équipier,  vieillissant, Jimmy Hart, crache :  "I'm too old for that shit !"

Faille aussi,parce que les histoires d'amour se passent entre  hommes, évidemment. Richard Chance et Jimmy Hart, mort trois jours avant de prendre une retraite largement méritée (ineffable scène du cadeau de la canne à pêche, avec plan-hanches sur la braguette bien remplie de Chance, sur-mâle alpha, grotesque de suffisance et de biceps scandaleux.
Richard Chance encore et son disciple Vukovitch, le petit flic timide et respectueux de la légalité, enamouré et adorateur de son maître, qui le déniaise copieusement et sans finesse tout au long du film, cette initiation SM culminant dans une scène de poursuite dont nous reparlerons.
Couple aussi, celui que forment le flic border-line et le héros maléfique déjouant ses plans et l'humiliant à plusieurs occasions.
La fabrication de fausse monnaie, activité substituée à la création artistique, pour un Willem Dafoe diabolique, faustien plutôt, âme vendue aux puissances de l'argent, peintre raté cuvant son ressentiment dans le luxe, la violence et l'ambiguité. Placé sous le signe du feu, il brûle au début du film les toiles qu'il juge ratées, et termine son parcours dans un brasier rédempteur et desesepéré. Les séquences de fabrication de fausse monnaie devenues cultes sont basées sur le témoignage et les démonstrations d'un spécialiste libéré sur parole et devenu consultant spécial pour l'occasion . Les billets passés à la machine avec des jetons de poker pour leur donner une patine crédible constituent un moment friedkinien typique : une jouissance un peu sommaire mais ultra efficace de l'élément visuel (couleur, forme, mouvement) dont l'abstraction rejoint tout à coup l'ambition d'un cinéma expérimental caché sous les fanfreluches et les monstrueux paddings des '80s.
John Turturro en petit voyou qui cache une teigne indestructible sous des airs de grand bébé geignard, un avocat double emploi – Robert Downey senior en chef de police à qui on ne la fait pas,
une scène de tentative de meurtre dans la prison de San Luis Obispo, tournée avec de vrais détenus commme figurants, deux personnages féminins  en miroir (blondeur athlétique, androgynie, soumission au mâle), plus une latino équivalent-macho partant au volant ridicule d'un bolide hors de prix avec la blonde asservie à son charme : "failure", échec, fêlure, la folie se tapit dans chaque geste, dans chaque petit arrangement avec la médiocrité.

"The chase is the purest form of cinema"

Au centre de ce film se tient un pur exercice de virtuosité ;  revendiquée comme telle, la poursuite interminable, à contre-sens sur une freeway qui ne porta jamais aussi bien son nom, répond exactement à l'exigence de Friedkin : "the chase must be a metaphor for the lead character." Elle renferme en effet la grande épreuve initiatique imposée par Chance au tendre Vukovich ; assis sur la banquette arrière, comme un petit garçon dont le papa aurait soudain laissé éclater sa folie au grand jour, il assiste yeux clos ou grand ouverts, parfois cachant son visage dans ses mains, à la désintégration de l'espace-temps. Ici commence la fin, le spectateur le sent bien, ce personnage ne pourra plus être ce qu'il était, il ne pourra même plus être quoi que ce soit, à jamais dans l'ombre de ce coéquipier dément, caché derrière ce dos qui sera désormais son horizon final.
Jeu de rôles, manège diabolique, cache-cache pervers, et, surtout, saut funèbre et radical (se jeter dans le vide est d'ailleurs un motif récurrent dans le film) vers la disparition, l'absurdité et la mort. La forme la plus pure du cinéma, en effet. Et c'est ainsi que le film nous laisse, hébétés, ravis, devant des palmiers que le vent agite dans un ciel rouge.

Anna

 

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