« Les Vacances des Van Peteghen » aurait pu venir compléter en guise de sous-titre la tendre expression nordique qu’est Maloute et qui rappelle le plus trivial ‘’Biloute’’. A la surprise générale, Tati s’invite sur les côtes d’Opale. C’est en cet inhabituel compagnonnage que Bruno Dumont nous présente les grands bourgeois de Tourcoing. Ils se pâment d’aise, leurs roses alvéoles gonflées de cet air marin et vivifiant qu’ils redécouvrent chaque année avec le même enthousiasme. Cette exaltation vire rapidement à l’outrance, et par glissement à la folie qui calmement se présente à nous. ‘’Une histoire de dingues’’, comme dit le réalisateur lui-même dans une conférence cannoise, et un décor qui ne pouvait mieux convenir à ses personnages : le Typhonium est un ovni architectural, une imposante bâtisse cimentée et de style égyptien ptolémaïque, semblable à ces ‘’folies’’ et autres gentilhommières que les aristocrates décadents des siècles passés faisaient ériger et n’habitaient jamais. Ici, Bruno Dumont ne manque pas d’opposer à cette bande de bourgeois consanguins l’inévitable contrepoint qu’offre la famille Brufort, prolos et anthropophages de père en fils. Pas de jaloux, à chacun ses tares.
Bruno Dumont déjoue l’attente, prépare le décalage. A l’image d’un Michel Gondry prenant Boris Vian au pied de la lettre, il décide d’ignorer l’arbitraire distinction entre le sens littéral et figuré. Le flic Machin est gonflé comme un ballon de baudruche, il s’envole, et la joyeuse compagnie court pour le rattraper sur la berge. Parmi eux, Juliette Binoche en robe de bal Louis XV, carnavalesque et avec raison : Bruno Dumont a décidé, dans Ma Loute, d’aller jusqu’à la caricature et la démesure, jusqu’à ce ‘’vrai centre, qui est l’énorme’’, comme écrivait Flaubert. Le semblant de rationalité que pose la trame policière est rapidement balayé par l’influence surréaliste, par l’inversion des valeurs : ici, salauds et saintes coexistent.
Dans son exigeante entreprise dialectique, Ma loute offre avant tout à Bruno Dumont l’occasion de s’interroger sur la monstruosité. Le cannibalisme en est une des facettes tout comme le mépris de classe des Van Peteghen à l’égard des Brufort , l’exemple parfait du monstre étant, bien sûr, l’enfant né de l’inceste qu’est le Billie androgyne de l’histoire. Le pari était cependant très risqué : la monstruosité ne se mêle pas si aisément au nouveau comique qui vient à naître dans son cinéma et se veut burlesque. Le réalisateur redécouvre ce genre bas et en exploite à bon escient toutes les richesses, la caricature restant le meilleur moyen de grossir pour mieux voir. Cependant le registre de la comédie se marie mal avec la seconde perspective plus sombre qu’est la monstruosité. ‘’Un doigt de oui-sse-ky’’, deux vannes et une bonne interprétation de snob plus loin, un constat s’impose : la légèreté tant rêvée dans ce film, qui offre tout de même deux grandes scènes de lévitation, est aussi difficile à saisir que le brave Monsieur Machin. On se demande jusqu’à la fin si le masque grotesque que portent les personnages de ce carnaval abrite, sinon de l’émotion, au moins un rire libérateur, si derrière l’artifice peut jaillir la spontanéité, la surprise et le véritable écart poétique. A l’évidence, non : et cela nous rappelle que le comique ne connaît pas de recette.
Alice
Ma loute
Réalisé par Bruno Dumont (2016)
Durée 122 mn
Comédie
Avec Fabrice Luchini (André Van Peteghem) , Juliette Binoche (Aude Van Peteghem) , Valéria Bruni Tedeschi (Isabelle Van Peteghem), Brandon Lavieville (Ma loute), Raph (Billie)