Immense succès pour la 6ème édition du Festival du Film Grolandais à Toulouse. On avait déjà remarqué l'année passée la nouvelle orientation prise par l'équipe, à savoir confronter deux types de programmation, l'une dédiée à une forme de comédie sociale décalée, l'autre à des œuvres plus exigeantes, expérimentales et inclassables. Cette cuvée 2017 confirme donc la tendance avec un cocktail particulièrement contrasté, riche et dense, peut-être trop au regard du nombre de films ratés pour raisons d'horaires incompatibles et autres choix cornéliens. Compte-rendu à chaud.
Programmé en cérémonie d'ouverture, la dernière Palme d'or de Cannes, The square de Ruben Östlund, fut, de façon prévisible, l'un des moins bons films de la sélection. Satire parfois marrante mais terriblement convenue de l'art contemporain, énième avatar de fiction post-Breat Easton Ellis, il achève un récit au propos faussement provocateur par une pirouette de scénario, dans la série plus politiquement correct, tu meurs. Les bobos sont glamour, égoïstes et superficiels, certes, mais glamour quand même, les pauvres sont pauvres et souvent étrangers, et la misère sociale, c'est pas bien mais, quand même, heureusement que ça existe parce que ça fait vendre. Comme au festival de Cannes, quoi. On commence vraiment les festivités avec Kuso de Flying Lotus, projeté s'il vous plait dans une des salles ultra propres du Gaumont Wilson. Incroyable mélange de clip, de cinéma expérimental, d'animation et de comédie scatologique à effet vomitif garanti, traversé de séquences de folie pure (difficile d'oublier George Clinton en docteur soignant un phobique des seins en lui chiant dessus et lui faisant avaler le sperme d'un cafard géant), il reste un film formellement maitrisé de A à Z, un authentique trip extrême.
On en arrive direct aux deux meilleurs films du festival selon nous, Les garçons sauvages de Bertrand Mandico et Laissez bronzer les cadavres de Hélène Cattet et Bruno Forzani, deux œuvres très dissemblables mais réunies par une même communauté d'esprit en même temps que par la présence commune de l'actrice Elina Löwensohn. Le premier, croisement libre du roman de Burroughs avec L'île au trésor de Stevenson, voyage sensoriel, érotique et onirique totalement immersif pousse à son apogée les recherches esthétiques de Mandico sous le format court-métrage depuis maintenant vingt ans. Changement d'orientation en revanche pour Cattet-Forzani, qui surprend son monde en délaissant l'univers post-giallo de leurs deux premiers films pour le polar violent mâtiné d'ambiance western. Adaptation très personnelle de Jean-Patrick Manchette, Laissez bronzer... explose littéralement les yeux de séquences hallucinées, utilisant à merveille son décor aride et bombardant les sens d'images fétichistes, ésotériques et solaires. On reparlera bientôt plus en détail de ces deux petites bombes.
Au rayon musical, impossible de faire l'impasse sur plusieurs rencontres exceptionnelles. Invité dans le cadre de l'exposition sur les « génies dilettantes » de l'Allemagne post-punk, Klaus Maeck, producteur, réalisateur, mais aussi disquaire et manager d'Einstruzende Neubauten, nous présentait deux incontournables de l'époque. B-Movie : Lust and Sound in West Berlin 1979-1989 (2015) et Decoder (1984) de Muscha peuvent se voir comme deux films complémentaires, l'un documentaire sur la scène underground, l'autre fiction orwellienne tournée dans l'urgence, inspirée par la Révolution électronique de Burroughs (encore) et dotée d'une BO de Soft Cell, The The et Psychic TV. Les éditions Potemkine et l'association Monokini nous ont également offert une performance inédite en hommage à Kenneth Anger. En effet, le décor coloré de la chapelle des carmélites a accueilli une projection multiple de Inauguration of the pleasure dome (1954) avec rien de moins que deux copies 16mm passées en mode split-screen sur la partition originale supprimée pour des raisons de droits. Mystique et prenant. On ne présente plus Pacôme Thiellement, spécialiste de la culture pop et déjà invité d'honneur à la dernière édition en compagnie de son complice Thomas Bertay. Une bien curieuse expérience au théâtre Garonne qui passait sur une journée l'intégrale de leurs vidéos expérimentales signés depuis 14 ans sous le binôme Le dispositif. L'intégralité, ça voulait 52 épisodes sur 8h de projection non stop (!) entre 12h et 20h. Basée sur le principe du Found Footage, chaque émission est une entreprise de décodage poétique d'images de toutes provenances, qui nous conte une sorte d'Histoire parallèle du 20ème siècle. Occulte et passionnant. C'est avec l'humour et l'érudition qui le caractérisent que Thiellement nous a présenté son dernier opus, La victoire des sans-rois, ouvrage définitif sur la gnose, théorie alternative à l'histoire officielle de la religion chrétienne, qui a marqué une génération entière d'artistes de la contre-culture, de John Lennon a Philip K. Dick.
On a terminé cette sélection en beauté avec les versions restaurées des premiers courts-métrages de David Lynch à l'American Cosmograph. Alors oui, c'est vrai, on reparle beaucoup de Lynch en ce moment, jusqu'à l'overdose depuis la saison 3 de Twin Peaks. Mais quand même, quelle surprise de voir ce record d'affluence ! D'où venaient tous ces spectateurs dont certains n'étaient même pas chauves ? Il y a quelque chose de stupéfiant à découvrir le pouvoir intact de ce cinéma intemporel, et qui paraît aujourd'hui comme hier surgi de nulle part. Inutile de décrire à nouveau Six Men Getting Sick (1966), The Alphabet (1968), The Grandmother (1970), The Amputee (1974) et Premonitions Following an Evil Deed (1995). Tableaux mouvants, expériences plastiques sans équivalent, poèmes cosmiques et lyriques à nul autre pareil, ils sont avec Eraserhead (1977), aussi ressorti en copie numérisée pour l'occasion, cette déclaration ultime d'un art total, sans limitation, expérimental mais pourtant profondément émouvant, en prise directe avec le fondement même de l'humain. Lynch en père spirituel de cette édition ? Oui, sans hésitation.
Sébastien