Début décembre, le festival Terres d'Ailleurs était de retour au Muséum de Toulouse pour un petit tour du monde en compagnie des sciences et d'explorateurs.
Depuis l'année dernière, j'attendais avec beaucoup de curiosité mâtinée d'un soupçon d'impatience la nouvelle session du festival Terres d'Ailleurs. L'édition précédente fut une excellente surprise riche en enseignements, reposante et revigorante à la fois, une découverte d'un autre monde qui est pourtant le nôtre, nous emmenant à quelques petits milliers de kilomètres de là, parfois moins, parfois plus. Les festivités courant sur une petite semaine, il était très difficile de me rendre à toutes les rencontres, hasta luego "Ultima Patagonia" et ton périple au bout du monde, bye bye "Défi Baïkal" et tes recherches sur le handicap, ce sera pour une prochaine fois ou bien dans d'autres circonstances. Je démarre donc ce festival 2017 avec une rencontre "hors les murs", comme on dit par chez nous, le jeudi 30 novembre au cinéma VEO de Muret :
CROESUS, À LA RECHERCHE DU PAPILLON GÉANT
Déjà, j'ai longtemps cru que le papillon était un des insectes qui avaient la cote, un des rares à être bien vu et proche d'être adulé si l'on en croit bon nombre de tatouages de chute de reins. Si on ajoute le nom anglais ridicule de mouche-beurre, difficile de déprécier l'animal. Et pourtant, force m'a été de constater qu'il existe des allergiques aux lépidoptères bariolés, des phobiques de la bestiole, et ils sont bien nombreux alors un avertissement doit être nécessaire, le papillon dont il est question ici, c'est du gros gabarit.
L'invité est Jean-Marc Sor, entomologiste passionné, membre fondateur de l'association Pyrénées Entomologie et acteur pour l'occasion de ce film. Le film documentaire d'un peu moins d'une heure nous entraîne en Papouasie sur les traces d'Alfred Russel Wallace, théoricien de l'évolution avec son compatriote Charles Darwin et un des rares à avoir aperçu un Croesus bien spécifique, un papillon géant d'une envergure de 30cm, tellement imposant qu'il fait partie d'un groupe à qui l'on a donné un nom bien particulier, les ornithoptères, autrement dit des oiseaux papillons. C'est tout le parcours de nos contrées occitanes jusqu'aux îles indonésiennes que raconte le film, du trio d'entomologistes, marcheurs pyrénéens, partis vers un lieu difficilement accessible, croisant crocodiles, tribus papous et chaleurs humides et étouffantes. Finalement, le fameux Croesus, il en est question tout du long mais ce n'est qu'à l'approche de la conclusion qu'il daigne montrer ses couleurs.
Réalisé par Yann Piquer, le film en lui-même n'a pas pour but d'afficher uniquement la star ailée en titre mais toute la démarche de ces personnes qui se sont passionnées pour cet insecte, toute l'aventure et les rencontres qu'ils ont vécus pour y parvenir. C'est ce que nous relate Jean-Marc Sor lors d'une discussion faisant suite au film. Étonnamment, le papillon s'efface de la conversation pour laisser place à deux choses bien précises : la réalisation de ce documentaire et l'importance d'Alfred Russel Wallace.
En toute logique, je commence par le deuxième point. Non seulement intéressé par les insectes, Jean-Marc Sor lutte pour la reconnaissance de ce naturaliste anglais, contemporain et compatriote de Charles Darwin. Il nous explique que si le second est partie dans l'océan pacifique élaborer sa théorie de l'évolution près des îles Galapagos, le premier faisait de même pour étayer son idée. Une idée qu'il ruminait déjà depuis quelque temps vu que son séjour avait pour but de trouver une preuve de sa théorie dans l'archipel océanien. Wallace aurait d'ailleurs compilé, recoupé et rédigé tous ses travaux avant d'en faire part à Darwin qui, rentrant un peu plus tôt de sa balade, s'empressa de les publier, s'en arrogeant tout le mérite. Et si on se doute bien que les travaux des deux compères ont permis d'élaborer cette théorie de l'évolution qui régit notre monde, il serait bon d'en reconnaître tous les contributeurs.
L'autre aspect de cette échange, c'est la réalisation du film-documentaire. Il se trouve que cette expédition, ils l'ont déjà effectué une première fois sans caméra en 2013 et ce n'est que suite à une proposition de la chaîne France 3 que les entomologistes partent retrouver Croesus dans le but de revenir avec les images du périple. C'est ce travail d'acteur, de reconstitution et de création d'images que Jean-Marc Sor nous rapporte, des difficultés de devoir rejouer des scènes dans un environnement compliqué, des conditions climatiques particulières et aléatoires, des délais restreints pour enregistrer toutes les séquences nécessaires et prévoir des papillons au frigo (véridique) pour ne pas revenir bredouille d'images avec un documentaire qui bat de l'aile. Qui aurait pu penser que cette rencontre autour d'un élégant lépidoptère puisse dériver sur une expérience de cinéma documentaire ? Cette rencontre fut au final un habile mélange de tout, une occasion de découvrir passion, papillons, Papouasie et cinéma en une petite soirée avec un explorateur local, spécialiste d'un domaine, néophyte dans un autre.
Le dimanche suivant, direction le Muséum.
Il fait frais, bien frais, brumeux un peu et le monde commence déjà à être présent. Il se trouve que ça tombe bien ce festival Terres d'Ailleurs question date car nous sommes le premier dimanche du mois et les musées publics sont libres d'accès ! Du coup, ce n'est pas qu'une virée au festival mais une entrée gratuite pour pouvoir visiter le muséum d'histoire naturelle de Toulouse, une occasion en or pour faire d'une pierre deux coups même si, on va vite le constater, le programme est bien trop chargé pour vraiment en profiter.
Petite nouveauté de circonstance: les stands des auteurs, explorateurs, scientifiques et éditeurs ne se tiennent plus dans le hall cette fois-ci mais à l'étage près de l'auditorium.
PAPOUASIE, EXPÉDITION AU COEUR D'UN MONDE PERDU
Avec Papouasie, expédition au coeur d'un monde perdue on ne change pas trop de région du monde après le papillon géant de jeudi soir. De premier abord, on entre dans un documentaire de facture un peu classique pour une expédition d'envergure. Des moyens conséquents, des scientifiques européens et indonésiens, des équipements de toutes sortes, une organisation de folie et des délais à respecter. Ce n'est pas de tout repos de réaliser tout ça et c'est ce que nous assène le documentaire en pleine face. Et si, formellement il est d'un classicisme agréable, le fond est d'une richesse extrême !
De la préparation jusqu'à l'arrivée dans le massif de Lengguru en Papouasie, le métrage est un foisonnement d'éléments divers. Arrivées à bon port, les équipes se séparent, on saute d'un domaine scientifique à un autre, d'une rencontre à la suivante avec enchantement. On suit les plongeurs à la découverte de la faune sous-marine éclatante de variété avec des invités curieux comme ce requin-baleine solitaire et sédentaire. On s'envole voir les ornithologues installer des pièges pour examiner les oiseaux locaux dont un des plus gros pigeons du monde, le goura couronné, emblêmatique de la région. Néanmoins, il est moins courant que nos pigeons citadins. On rampe ensuite vers une herpétologue indonésienne tout à fait ravie d'avoir trouvé un beau spécimen de varan, on est à la fois fasciné et terrorisé par une charmante discussion autour d'une élégante araignée géante dévoreuse de mâle, on découvre étonné une sorte de safari scientifique en milieu aqueux à la poursuite d'un rare représentant de cétacé d'eau douce et des difficultés d'en rapporter un morceau (un tout petit bout, que les ardents défenseurs de tatouages de dauphins sur l'omoplate soient rassurés).
Au milieu de cette abondance d'explorations et de recherches, deux entreprises délicates et harassantes sortent du lot. L'une de ces expéditions accompagne un groupe parti à la recherche de lacs isolés dans les hauteurs du massif. Un lieu difficilement accessible où ils espèrent trouver la trace d'un petit poisson endémique et conclure peut-être à une nouvelle espèce. L'autre opération compliquée est celle de la montée vers le plus haut sommet des parages pour avoir une idée de la biodiversité à cet endroit. On voit très vite à l'image que la tâche est ardue, chercheurs et autochtones luttent contre la chaleur, un chemin impraticable et bien d'autres éléments.
Difficile de s'ennuyer devant la densité d'informations, de découvertes, de travaux et de diversité de ce film d'1h30, j'en oublie tant les missions sont nombreuses. Et le plaisir de la découverte de ce "monde perdu" continue avec la présence d'un scientifique participant à l'expédition et professeur à l'université Paul Sabatier. Christophe Thébaud aborde ses travaux sur place, nous parle de la particularité du travail sur le terrain avec ses difficultés mais surtout son plaisir de découvrir cet endroit et de se retrouver face à ce massif impressionnant. C'est un scientifique et avant tout peut-être un passionné, un véritable explorateur qui nous offre une petite remarque fort pertinente quant à l'utilisation des termes de monde "perdu" ou "primitif" impropre à être utilisé car il est peu commun, différent à nos yeux mais tout aussi d'actualité que le nôtre. Un reportage et une rencontre comme celle-ci, ce sont des enseignements que j'apprécie.
DALLOL, AUX FRONTIERES DE LA VIE
Un temps de pause, une occasion de tester le restaurant du Muséum, pas donné mais pas mauvais, un joli cadre et un peu d'originalité, ça reste appréciable. Retour à l'assaut de l'auditorium pour une rencontre à l'équateur, direction Dallol, désert éthiopien où réside une surprenante et unique curiosité géologique, un plateau circulaire laissant apparaître un monde de couleurs et de concrétions fascinant. Olivier Grunewald, photographe, cinéaste et invité à cette occasion, est présent pour nous montrer son très beau documentaire sur une expédition scientifique sur le terrain, ce fameux "volcan" Dallol.
Perdu au nord de l'Ethiopie, à la frontière de l'Erythrée dans le désert du Danakil (donc, non, ce n'est pas qu'un groupe de reggae), le lieu est unique, considéré comme une zone volcanique avec une vie géologique hyperactive provoquant différentes singularités et phénomènes atypiques. Des variations de couleurs vives, du jaune, du vert, de l'orange, du blanc et même un petit lac d'un noir profond, des températures extérieures complètement folles, une eau acide et brûlante, des effluves toxiques. Si l'endroit est fascinant il nécessite aussi que l'on prenne des précautions car il est dangereux de s'y aventurer, une sorte de merveilleux enfer. Et dans ce lieu paradisiaque pour ces scientifiques c'est l'occasion de faire de nombreuses expériences et d'avoir une idée d'un milieu en condition extrême, pouvoir extrapoler et réfléchir aux possibilités d'une vie dans un cadre similaire. Les tests et relevés sont nombreux et la zone Dallol est vaste et variée, c'est une aubaine pour l'équipe de pouvoir exploiter un environnement si peu commun.
Mais plus encore, c'est devant l'unicité du lieu que s'arrête Olivier Grunewald, enchanté par ce monde bigarré au milieu d'une vaste étendue aride, il s'en donne à coeur joie pour rapporter des images époustouflantes. Certes, avant tout, ce documentaire retrace une expédition scientifique et il en dit beaucoup à ce sujet mais c'est aussi un tableau vivant d'une terre en pleine activité, une peinture unique d'un lieu qu'on peine à imaginer. Bien que l'on soit dans une toute autre région du globe, on sent bien encore une fois que l'équipe souffre entre une politique locale assez sensible et des chaleurs intenses rendant impossible le travail durant la majeure partie de la journée. Et pourtant, on sent encore une fois que la troupe s'éclate à marcher de pierre en pierre, à analyser un endroit, à en observer un autre. L'exploration, c'est tout de même une vocation.
Un rendez-vous était encore prévu, on avait encore de quoi s'occuper pour terminer la journée et on ne pouvait aussi que constater le succès de ces rencontres. À peine sorti que la prochaine commençait déjà à faire salle comble, l'auditorium plein à craquer. Ces rencontres, ces films incarnent une évasion salutaire, instructive. Non content de simplement nous emmener voir un ailleurs, c'est une approche de la science et de sa nécessité dans tous les domaines pour faire avancer notre monde et savoir comment le protéger. Quand ce sont en plus des spécialistes qui en parlent avec amour, le courant passe d'autant mieux ! Malgré de petites incivilités de la vieille garde, pour un fâcheux que l'on croise, c'est toute une famille de curieux qui se fascinent et viennent partager leurs questions, tout se termine avec un petit tour au stand pour continuer les voyages et découvrir artistes illustrateurs, auteurs et revues, toujours un choix très bien vu pour accompagner ces moments. Merci au festival de nous les offrir, d'ailleurs.
PS : pour ceux qui voudrait entamer un voyage vers Dallol et dans d'autres endroits du monde avec les belles images d'Olivier Grunewald, un beau livre est sorti réalisé avec la journaliste Bernadette Gilbertas, les extraits, c'est par ici : http://www.oliviergrunewald.com/ !
Yoann