Terreur du voir, l'expérience Found Footage de S. Bex

×

Message d'erreur

Deprecated function : The each() function is deprecated. This message will be suppressed on further calls dans _menu_load_objects() (ligne 579 dans /opt/superflux/www/drupal/includes/menu.inc).

Dire que nous attendions un essai français sur le Found Footage est un doux euphémisme. Genre décrié, rabaissé au rang de simple gadget commercial ou de production au rabais, il attendait depuis des années non une réhabilitation mais une vraie démarche analytique, en accord avec son support qui a, quoi qu'on en dise, révolutionné l'industrie du cinéma. C'est aujourd'hui chose faite avec ce bel ouvrage de Stéphane Bex, impressionnant pavé qui brasse une filmographie immense et se donne pour ambition de dresser un état des lieux.

Le Found Footage est aujourd'hui partout, son récent retour en force motivé par l'arrivée dans la seule année 2007 d'un vrai carré d'as : Paranormal activity de Oren Peli, [REC] de Jaume Balaguero et Paco Plaza, Redacted de Brian De Palma et Chroniques des morts-vivants de George Romero. Quatre manières d'aborder le genre, qui ont aujourd'hui essaimé en une véritable nébuleuse dont on est apparemment encore loin de voir la fin. Qu'en est-il de son histoire ?

 

C'est dans les années 80 que le Found Footage trouve ses ancêtres : l'ultra-célèbre Cannibal holocaust de Ruggero Deodato mais aussi des œuvres plus discrètes comme la série télé Documents interdits de Jean-Teddy Filippe, suite de faux reportages d'une dizaine de minutes imprégnés d'une étrange poésie littéraire, et Alien Abduction de Dean Alioto qui fut aux États-Unis présenté comme l'enregistrement authentique d'une famille enlevée par des extra-terrestres. Mais le vrai coup d'envoi du genre, son film fondateur, reste historiquement Le Projet Blair witch (1999) de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez qui en pose toutes les bases esthétiques et narratives. Tout le monde se souvient de son pitch résumé en deux phrase sur son carton d'introduction : "En 1994, trois étudiants en cinéma disparaissent dans une forêt du Maryland au cours d'un reportage sur la sorcellerie. Un an après leur film fut retrouvé."

Mise en abîme du film dans le film, disparition mystérieuse des personnages, confusion entre documentaire et fiction, anonymat des sources. Tout est déjà là, dans ce long-métrage à petit budget qui généra une fortune colossale, considéré soit comme le plus grand film d'horreur de tous les temps soit comme la plus grosse arnaque de son histoire. Nul ne lui prédisait en tout cas une telle descendance. Car après les forêts obscures (un lieu incontournable du genre), le Found Footage investit les espaces suburbains et les maisons résidentielles, réinvente le film de fantôme pour en contaminer les objets du quotidien, créant une sorte de gothique postmoderne passée au crible de la société de consommation. A l'énorme différence près qu'ici c'est la caméra elle-même qui est hantée, faisant de l'image un espace mortifère et labyrinthique dans lesquels des personnages devenus de simples pantins n'en finissent plus de se perdre avant de s'effacer.

Le Found Footage revisite ensuite le film de possession démoniaque (Le dernier exorcisme, Devil inside), le folklore américain des créatures sauvages (reprenant le film amateur de 1967 de Patterson et Giblin, seule « preuve » de l'existence de Bigfoot), les catastrophes écologiques et les terreurs post 11 Septembre (The bay de Barry Levinson et Cloverfield de Matt Reeves qui fit rentrer le genre dans l'économie du blockbuster) et même le film de super-héros (Chronicle) avant de subir les affres de la parodie (Abnormal activity et autre pochades). Mais c'est dans une veine non fantastique qu'il trouve sa voie la plus saisissante mais aussi la plus sinistre, lorsqu'il met en scène des tueurs inspirés des médias : C'est arrivé près de chez vous, directement calqué sur le modèle de l'émission télé belge Striptease, Zero day qui retrace les derniers jours de tireurs de Columbine et surtout l'atroce August underground, accumulation brute de scènes de tortures, viols, scatologie et mutilations sexuelles sans aucun justificatif de scénario, qui franchit la même barrière snuff que A serbian film ou Guinea pig. Stéphane Bex analyse d'ailleurs en détail un des longs-métrages les plus originaux dans cette catégorie, The poughkeepsie tapes, encore aujourd'hui partiellement censuré par MGM et visible via les plateformes internet. D'une manière générale, on assiste à une réelle tendance à investir les terreurs urbaines du home invasion (Alone with her, 388 Arletta Avenue) et de la prédation sur internet (le terrifiant Megan is missing) qui tend à amener une tonalité ultra-réaliste et sociologique. A l'inverse, le Found Footage trouve aussi une spécificité dans sa version japonaise, sous l'influence fondatrice du Ring de Hideo Nakata, avec l'œuvre de Kôji Shiraishi, qui arrive à mélanger l'univers du reality show et celui de Lovecraft (!) avec des films comme Noroi ou Occult.

Terreur du voir est donc une remise en perspective de ce phénomène nourri aux images « impures » de la télé réalité, du multimédia, de la caméra de surveillance, du jeu vidéo et des mutations de plus en plus envahissantes des réseaux sociaux, faisant ressortir également des figures plastiques nouvelles comme les plans au nightshot ou l'emploi systématique du glitch (erreur numérique créant des déformations par pixellisation). Avec une grande maîtrise des concepts, Bex élabore une théorie tout à fait pertinente de cette horreur postmoderne traduisant une angoisse à la fois technologique (notamment du voyeurisme et de l'espionnage, via l'omniprésence des caméras invisibles et de la Webcam) et sociétale (dislocation des liens affectifs, perte de l'empathie, dépersonnalisation et indifférenciation avec pour corollaire le retour narcissique sur l'image de soi). Se dégage de cette prolifération une nouvelle forme de société du spectacle, quasiment un nouvel état du monde qui a quelque chose de profondément inquiétant. Le Found Footage est donc ce cinéma mutant qui cristallise une époque panoptique, figé par ses propres limitations mais encore riche en potentiels créatifs. C'est aussi le mérite de ce livre brillant, que d'inviter le lecteur à imaginer de nouvelles formes et, qui sait, peut-être de grands films à venir. 

Sébastien Gayraud

Terreur du voir
L'expérience found footage
Stéphane Bex
Mars 2016
520 pages
Edité par Rouge Profond

 

Twitter icon
Facebook icon
Google icon
Pinterest icon
Reddit icon