Les fils d'El Topo d'Alejandro Jodorowsky

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Bible Belt

La puissance de feu d' Alejandro Jodorowsky, scénariste de ce premier épisode des Fils d'El Topo ne réside pas tant dans les colts pendus à la ceinture du héros que dans les versets bibliques qu'il dégaine sans crier gare.
Le projet de ces trois albums, dont les deux derniers restent à paraître, est né après la projection en 1970 à New-York du film El Topo : devenu culte, icône de l'hybridation des contre-cultures pop, expérimentale et hippie avec la vague la plus mainstream et réactionnaire qui soit, qui pourrait se résumer par la formule "Bible Belt + NRA", ce western mystique inaugure le sous-genre des "Midnight Movies", films trop violents, trop expérimentaux, trop marginaux pour être projetés à des horaires chrétiens. Le manque de moyens financiers explique le choix, quarante ans plus tard, de la BD, que Jodorowsky utilise ici pour fabriquer un "film graphique" selon ses propres mots.
Silhouette longiligne, Stetson rabattu sur un visage barbu et regard perçant, El Topo incarne et biaise le stéréotype du héros de western, plutôt lone ranger que cow-boy, hantant déserts et cavernes plutôt que saloons et corrals. En quête de sainteté, il termine son parcours en Bouddha New-Age, son tombeau devenant lieu de culte pour tous les tordus, paumés, freaks et misfits de l'univers
Un mélange de Blueberry, de Bouncer et de Gandhi qui aurait admis l'usage d'une certaine violence, celle des armes blanches et des coups de poings fermement appliqués, du moment qu'une morale archaïque pour ne pas dire biblique soutient son usage : l'héroïsme nihiliste du cavalier errant.
Voici donc que ce séducteur aux semelles de vent a fait souche, et c'est le destin de sa progéniture qui se déroule dans les cases format cinémascope de cet album.. Destin, c'est le mot juste, il suffit de regarder les prénoms de ses fils : Caïn, Abel et, troisième et (très) énigmatique, Abelcaïn.

"Ce n'est pas une tombe, c'est une ruche."

Devenu après sa mort une figure tutélaire, El Topo, depuis sa sépulture aux sept menhirs dorés, posée sur une île reliée au continent par une passerelle s'écroulant sous les pas de qui est impur et précipitant le malveillant dans un bain d'acide (très convaincant gros plan de crâne ruisselant qui donne l'accasion de saluer le trait et la mise en couleur de ces images puissantes qui suscitent le grand écran dans le cerveau du spectateur), a causé la stérilité du pays "recouvert d'une croûte aride", et a enchaîné son propre fils à un passé de violence et de haine, faisant de lui un double négatif (effet miroir annoncé par le choix iconographique de la première et de la quatrième de couverture). Comment échapper aux injonctions paternelles ? Comment ne pas être la marionnette de ses parents et de son destin ? Comment quitter l'univers symbolique du mythe et vivre sa vie ? Ce sont les questions que met en scène ce récit, assumant totalement le jeu avec les clichés et les attentes déçues.

Erotique du vide :

"Voilà le maudit ! Celui qui le regarde est mort !", ce cri annonce l'arrivée de Caïn, fils ainé d'El Topo, et souligne, au cas où son prénom n'aurait pas suffi, la malédiction qui pèse sur lui. Voué à tuer son frère, à défaut de son père devenu une figure divine donc intouchable, il trimballe dans un désert sergioleonesque son ressentiment et sa colère. On comprend que Caïn est invisible : sur ordre du père, personne ne le voit, personne ne lui parle, personne ne remarque même sa présence. Rendu fou furieux par ce jeu tragique, il cherche par tous les moyens à obliger les autres à noter son existence ; les pages 24 à 33 offrent une parenthèse narrative puissante montrant la stratégie de violence et de perversion déployée par Caïn : Peckinpah n'est pas loin et on entend l'harmonica des mélodies de Morricone portées par le vent transportant le sable du désert et l'odeur de la poudre. La même érotique du vide, de l'absence, du silence est à l'oeuvre dans les images parfaites de ce récit brillamment découpé.

"Je ne suis personne"

Caïn, cet autre Ulysse employant l'anonymat comme identité, croise alors qu'il est en très mauvaise posture, une bande d'aveugles qui le rend à ses sens, au plaisir et à la perceptibilité. Il finira par accepter l'amour d'une vierge suicidée aux jambes brisées maintenues par des atelles. Il quitte alors la région sous la protection de son aigle-totem.

"Sur la piste de l'aigle" se referme ce premier volet des Fils d'El Topo : Abel y est présent dans une touchante mise en abyme très shakespearienne. De Caïn à Hamlet se trace le chemin de l'identité pour les fils de l'énigmatique El Topo et du très roublard Jodo, tissant à merveille un univers tex-mex religieux, baroque, drôle, puéril, sexuel pour abriter ce western langoureux et mystique. Le dessin puissant, le trait soigné et mobile, le désert technicolor achèvent de nous convaincre du bien-fondé de ce retour, quarante ans après, des Fils d'El Topo.

Anna

Titre : Les Fils d'El Topo, tome 1 Caïn.
Auteur : Alejandro Jodorowsky
Editions : Glénat
Rubrique : même vieux, il décoiffe..., désert, désert, désert, chapeau! Chapeau!! idée vacances : que faire quand il pleut ?

Merci à la librairie Terres de Légendes à Toulouse pour nous avoir prêté l'album chroniqué ici.

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