La Fille Maudite du Capitaine Pirate

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Difficile d'aborder La Fille Maudite du Capitaine Pirate et pourtant cela devrait être chose aisée l'abordage à son sujet, par où commencer ?

Par le début, ça paraît bien, c'est facile, et au début, il y a un troquet mal famé plein de gueules cassées, un boui-boui typique de cette image que l'on peut avoir du bistrot du port dans les récits d'aventures. Et de piraterie notamment. Car Piraterie, il y a, c'est indiqué dans le titre "Pirates" et il suffit que ce soit marqué pour se retrouver plongé dans cette gargotte fumante, crasseuse, étouffante et foisonnante d'odeurs et de textures.
Mais pour que ce soit vraiment un récit de piraterie, il faut une mer, ça tombe bien parce qu'ensuite vient la plage et une plage n'est rien sans une mer ou un océan, sinon c'est un désert. C'est là que se trouve notre héroïne, la "Fille Maudite" du titre, maudite, oui, dans un certain sens, solitaire, excentrique et rêveuse, elle en amuse quelques-uns et en fait fuir d'autre. Maudite, c'est vrai aussi dans l'autre sens, on lui a jeté de bien mauvais sorts.
Il reste un dernier mot dans le titre pour que cette histoire reste à flot, c'est ce "Capitaine" et bien ce galonné n'est rien d'autre que le père de notre héroïne et figurez-vous que, en plus d'être le plus fabuleux capitaine pirate de toutes les mers, il est aussi le plus recherché. En effet, il a disparu et nul ne sait où.
Je crois que nous avons tout ce qu'il faut pour démarrer un excellent récit d'aventure, il suffit d'un petit coup de pouce, un triste coup du sort pour que notre maudite fille quitte le port.

C'est avec ces quelques pages d'introduction qu'on embarque dans cette fabuleuse histoire, on largue les amarres direction un pays par delà l'océan, les mers d'Omerta, surgissant au fond de celui-ci, c'est une contrée faite de bateaux extraordinaires, de villes sous-marines et de paysages rocailleux et corailleux où l'on se perd, se faisant balloter par rebondissements scénaristiques, profusions de créatures, richesses des décors, le lecteur ne sait plus où donner de la tête.

Jeremy A. Bastian, l'auteur, impressionne par les deux principaux constitutants d'une bande dessinée : le dessin et la narration.
Si l'histoire, l'intention pourrait tenir sur un parchemin défraîchi, la narration fait tout le sel de cette dernière. Elle nous emporte tout d'abord doucement, on suit des yeux une installation déjà bien originale mais abordable sans trop de méfiance, nous sommes encore dans le port et sur la plage. Passées ces premières pages, on en arrive à se plonger dans son océan graphique, avec un peu d'appréhension d'abord, on perd pied, une crainte qui disparaît ensuite à la découverte de tout ce nouveau monde sous-marin.
En suivant les cases, on se rend vite compte que celles-ci se fondent pour devenir des illustrations mélangées, entrelacées, imbriquées parfois, sans pour autant nous faire perdre le fil de la lecture. L'esprit pourtant vagabonde, effleurant l'histoire, se délectant du dessin et suivant le courant. Et au détour d'une pause bienvenue dans cette folie narrative, que ce soit par la curieuse venue de narrateurs extérieurs, une mise en abîme soudaine ou bien par un moment de répit entre deux affrontements, on se prend, en tournant la page, une déferlante de mots et d'images savamment emberlificotés, un abysse envoûtant où l'on cherche à reprendre pied.

Cette narration est intimement liée à son dessin et ce dessin, même à vouloir en dire trop, on ne pourrait jamais en dire assez. Héritier spontané de Gustave Doré, Albrecht Dührer ou encore Jérôme Bosch, Jeremy A. Bastian semble avoir digéré une passion pour les graveurs et les dessinateurs classiques et réussi à se réapprorier la technique et l'univers des uns et des autres pour créer son propre monde, y définir sa patte personnelle et nourrir sa création de décors et d'êtres de toutes sortes, de toutes tailles et de toutes formes (à tendance poissonneuse ici pour le bien du récit).
C'est à chaque page, une explosion de détails. D'un trait noir d'une élégante finesse, les protagonistes prennent vie et caractère ! La caricature est efficacement explicite, les monstruosités sont merveilleusement grotesques et si on peut être surpris voire dérangés par ces bestioles et humanoïdes en tout genre, on n'en reste pas moins enchanté.
À chaque instant, c'est l'aventure qui prime, le danger est bien présent et on s'y risque avec nos héros, on en rigole aussi avec eux car, si les mers ont l'air d'être bien mal fréquentées, les vilains sont idiots, souvent aussi laids que bêtes, certains, les plus gros, méritent qu'on s'en méfie, mais de là à les craindre, ça non ! On sait bien que la fille maudite est bien plus intrépide et astucieuse que le plus fieffé coquin d'Omerta.

La Fille Maudite du Capitaine Pirate prend la vague de plein fouet et suit le sillage de ce qui fait la saveur du Merveilleux, du conte de fées à l'ancienne. C'est tout un monde créé pour un récit d'aventures, une histoire de pirates avec ses propres règles, sa fantasmagorie, ses flots absurdes mélangeant agréablement toute la qualité visuelle d'une gravure médiévale aux idées fabuleusement grotesques d'un livre de François Rabelais ou de Lewis Carrol. La Fille peut faire peur, fait beaucoup rire et surtout enchante et envoûte, impossible de lâcher l'aventure et ça, peu importe l'âge, il faut juste le courage de s'y plonger.

 

Titre : La Fille Maudite du Capitaine Pirate T.1 & T.2
Auteur : Jeremy A. Bastian
Editeur : Les éditions de la Cerise
Genre : Alice aux pays des merveilles chez les pirates

Yoann

 

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