The Golden Path de Baptiste Pagani, éd. Ankama
On remonte en ce début d’année avec un très bel hommage, non pas au magicien d’Oz et à sa route de brique jaune, mais plutôt au cinéma hong-kongais, le titre très évocateur ne cache en rien l’énorme clin d’oeil à la compagnie Golden Harvest, responsable de dizaines de films de kung-fu, vu qu’ils vont jusqu’à en reprendre le logo véritable.
Et le festival de références ne s’arrête pas à la couverture, le récit tout entier est une véritable ode au genre. Les noms ont été vaguement changés pour être tout à fait reconnaissables et on ne se surprendra pas à reconnaître le fabuleux Jackie Chan et le non moins amusant Sammo Hung, jusqu’à brosser un portrait peu reluisant de leur producteur ennemi sous les traits d’un Godfrey Ho contrefait. Des interludes sur la fabrique des arts martiaux dans le cinéma agrémentent le récit et donnent une dynamique extrêmement sympathique à l’ensemble.
Mais l’intérêt de cette surprenante bande dessinée ne s’arrête pas à un simple cataloguage des anecdotes de l’époque bénie du cinéma de Hong-Kong. C’est aussi, au travers de l’héroïne, un portrait féministe percutant qui retranscrit, avec une certaine distance et dans une atmosphère de romance, la place et la traite des femmes dans le milieu.
Si Jin Ha s’écarte déjà des clichés du genre, elle incarne de nouveaux horizons en adoptant le métier de cascadeuse dans un milieu essentiellement masculin, dur et violent, sa force de caractère tout autant que sa force physique en feront néanmoins une proie pour les arnaqueurs qui profiteront de sa passion pour son métier pour la transformer en objet sexuel.
Avec The Golden Path, les passionnées de toute cette frange du cinéma asiatique prendront un immense plaisir à voir toute cette période retranscrite avec tendresse, humour et passion mais c’est la trajectoire de vie de cette femme qui réhausse et ajoute une profondeur à ce superbe récit.
The Black Holes de Borja González, éd. Dargaud
Un keytar en couverture et un titre évocateur, The Black Holes est évidemment le nom d’un groupe, et plutôt punk dans son genre. Composé de trois filles dans le vent, plutôt désoeuvrées bien que motivées, traînant leurs guêtres de leur garage aux salles de concert, on remarque bien vite qu’un truc cloche. Pourquoi suit-on également la vie de cette jeune aristocrate coincée dans son manoir en pleine époque victorienne ?
Les deux récits alternent, puis se chevauchent, difficile d’y voir bien clair, d’autant plus que l’auteur joue remarquablement bien avec son style graphique, ne représentant aucun visage, s’autorisant de pleines pages silencieuses riches en nuits profondes, laissant place à un fantastique désuet et rêveur.
D’un côté le groupe punk se cherche, avec ses réjouissances et ses tensions, de l’autre la jeune femme se rebelle face à l’autorité familiale et garde pour seul réconfort une petite soeur, bien éloignée de toutes ses interrogations.
Difficile d’aller plus loin sans en dévoiler trop, The Black Holes, en jouant l’épure, réussit à faire intervenir le fantastique en finesse, sans heurt, l’album fait rimer punk avec poésie, rébellion sociale avec sommeil paradoxal et c’est un pur plaisir que de se laisser porter par cette curiosité !
Les Indes Fourbes de Juanjo Guarnido & Alain Ayroles, éd. Delcourt
Un petit mot sur la grande bande dessinée de cette rentrée, on aurait pu penser un article tout entier pour son auguste personne mais les médias en ont déjà fait leur repas, en tout cas, il me permet de trouver une excuse en glissant un thème un peu générique sur l’art et la manière avec du cinéma pour débuter, de la musique pour écouter et un fourre-tout de littérature et de peinture pour conclure.
Suite imaginée du roman picaresque de Francisco de Quevedo, El Buscón, clins d’oeil multiples à Vélasquez, ce beau volume recèle bien des trésors en son sein outre une écriture majestueuse et d’un dessin voyageur.
Oui, Les Indes Fourbes ne faillit pas à sa toute jeune réputation de “bédé qui déchire, dis donc !”, le scénariste de De Cape et de Crocs, nous offre une histoire foisonnante, riche en péripéties, en foultitudes de décors, en philosophie et en humour, accompagné par le dessinateur de Blacksad, qui réussit à nourrir visuellement l’abondance de détails et de scènes tout en s’appropriant à la perfection la caricature comme expression.
La symbiose des deux épousant à merveille ce pourquoi Les Indes Fourbes existe, réaliser un récit picaresque en bande dessinée.
Trêve de compliments, Les Indes Fourbes ne demande rien de plus que de s’aventurer dans ses pages, et on s’abreuvera des multiples références picturales comme celles plus littéraires, jusque dans le style, que révère Alain Ayroles, amateur de bons mots.
On lui trouvera un défaut, un prix qui fait honneur à son écrin, un prix qui comme sa taille se trouve bien élevé, peut-être un prix mérité ?
Reste à voir si vous préférez une livre d’Indes Fourbes, de l’âge d’or ou de Moi ce que j’aime, c’est les monstres, on y vient, à vendre les livres au poids.
Yoann