Tiens ? V'là le printemps ! On sort une sélection hivernale en même temps que les premières fleurs de la saison.
Et vous trouvez ça drôle ? de Hugleikur Dagsson aux éditions Vraoum
Hugleikur Dagsson est islandais et dessine des bonhommes bâtons. Dagsson fait de l'humour de mauvais goût. De très mauvais goût. Il a tellement de succès dans son pays qu'ils en ont fait des chaussettes et il se pourrait qu'il ait du succès ailleurs. Dagsson s'en prend à tout le monde, la société toute entière dans tout ce qu'elle a de moche, il la déteste à tel point qu'à ce niveau là c'est de l'amour, une passion dévorante, masochiste et incestueuse. Un ouvrage vilainement dessiné qui affirme haut et fort que l'on peut rire de tout, même si ça fait des taches.
L'arme la plus puissante du monde de Noël Rasendrason aux éditions Lapin
D'après l'auteur, l'arme la plus puissante du monde est un mini-pistolet. Mais dans ce livre ce qui semble être vrai ne l'est pas vraiment. On ne peut se fier à rien en entrant dans cet univers d'affirmations complètement fausses, de présentations totalement absurdes, d'illustrations curieuses et de boutades éculées revisitées. On rit, surtout nerveusement, mais on rit et on ne sait pas pourquoi. Avec ce mini-pistolet (l'arme la plus puissante du monde), c'est une variété de thématiques abordées et déclinées sous un tas de formes graphiques, aussi modernes que vieillottes, c'est un exercice de style de chaque instant qui part à la dérive, vers un inventaire de centaures ou de maladies bleues. Il faut un peu se détacher du monde pour pouvoir encaisser le recul de cette fameuse arme. Sans doute que tout cela n'est pas très clair, c'est bien, c'est un peu l'idée.
Petit traité d'écologie sauvage d'Alessandro Pignocchi aux éditions Steinkis
Trichons au beau milieu avec ce petit traité particulier qui est sorti il y a fort longtemps en temporalité librairie mais reste toutefois assez contemporain en suivant la temporalité du lecteur lambda. Le printemps est impeccable pour lui faire une place maintenant, c'est la saison de la renaissance, du renouveau, ça bourgeonne et ça tombe bien, c'est un peu ce qui lui arrive à cet ouvrage qui réapparaît comme ça, hop, après une petite période d'hibernation. Surtout quand on vient d'apprendre qu'il aura droit à une deuxième branche. Le propos ici est d'inverser les tendances. Alessandro Pignocchi, en bon passionné d'anthropologie, va faire se rencontrer deux mondes. Le nôtre, occidental, image d'épinal du progrès politique, technologique et économique, et celui plus terre-à-terre des tribus amazoniennes où la constance d'un monde en accord avec son environnement constitue un mode de vie. Retournement de situation ici, un indien jivaro devient anthropologue et étudie nos tourniquets de cartes postales et nos rites adolescents (sacré boulot), la crème de la communauté européenne s'adonne au troc et fait fi de la BCE, fait corps avec la nature, au sens propre comme au figuré, et cesse de la martyriser, la réincarnation fait son office et la faune hérite de nos dépendances.
Ce bel album enjolivé de douces aquarelles joue avec beaucoup d'esprit sur ce décalage culturel et cette rencontre pour mieux dénoncer les travers de notre société.
Hillbilly T.1 d'Eric Powell aux éditions Delcourt
Le hillbilly ici, c'est un chevalier errant, un pouilleux des Rocheuses qui se balade avec le hachoir du diable. Il a beau être aveugle, il repère, retrouve et étripe l'engeance démoniaque, surtout les sorcières et autres baba yaga du coin qui pourrissent son monde et avec qui il a un sérieux compte à régler. Pour une fois, Eric Powell ne joue pas la carte de l'humour mais nous offre une recette comme lui seul peut en créer, il invente tout un recueil de contes et légendes des origines des Etats-Unis dans l'esprit des très européens contes de Perrault, de ceux des frères Grimm ou encore de Pouchkine. Son pari est réussi, il crée tout simplement les mythes de l'amérique profonde en piochant dans notre culture commune amenée par bateaux avec toute sa diversité entassée, et dans la découverte de ce nouveau monde où le territoire est encore hostile et la nature surprenante. À cette fabuleuse tambouille se mêlent les influences de Powell, ce qu'il connait et sait faire de mieux : retranscrire son amérique rustique, primitive et un brin dégénérée. Et par-dessus tout ça, ce recueil de contes fantastiques, son trait aussi doux que rugueux, on s'attache à cet univers, son atmosphère et ce hillbilly loqueteux n'est rien de moins qu'un nouveau héros du quotidien avec sa force brute et stupide et surtout ses terribles souffrances.
Insulaires, petites histoires de Groix de Prosperi Buri aux éditions Warum
Osons le dire, la presqu'île de Quiberon a son petit charme mais c'est aussi un haut lieu du tourisme assez éreintant, Lorient a perdu son charme sous les bombes même si elle reste agréable alors que l'île de Groix bénéficie d'un avantage certain sur ses voisines touristiques, elle n'est accessible que par bateau et freine un peu les sujets au mal de mer, peu confiants en ce qu'un véhicule de plusieurs tonnes de ferraille puisse flotter sur l'eau. Certes, cela ne refroidit cependant qu'une partie de la populace de curieux et beaucoup osent se mouiller tous les étés pour visiter ce petit morceau de Bretagne Sud. C'est ce que Prosperi Buri, résident et autochtone du caillou, propose de raconter entre autres dans sa petite bande dessinée à la maquette reprenant celle des récits de Jules Verne aux éditions Hetzel. C'est un recueil de légendes, d'affaires locales et d'observations nostalgiques qu'il met en scène d'une manière bien plus originale qu'on aurait pu l'imaginer, n'hésitant pas à reprendre une histoire de sirène en la transformant en un fait divers d'infanticides sordides et rigolards, contant les tribulations d'un ballon-sonde de l'époque, achat de la municipalité qui souhaite mettre un pied dans la modernité sans penser aux curieuses conséquences, et tout ça entrecoupé de quelques pages d'histoires instructives sur la vie de l'île, qu'elles soient contemporaines ou d'antan. C'est un bien curieux ouvrage que cette bédé régionale au ton franchement drôle et décalé, saupoudré d'un amour sincère de la part de son auteur.
Du sang sur les mains de Matt Kindt aux éditions Monsieur Toussaint Louverture
Comme le titre peut le laisser deviner, nous avons affaire à un roman graphique policier. Ces soupçons sont vite confirmés dès les premières pages qui ne souhaitent pas tourner autour du pot. Nous sommes dans la ville de Diablerouge et l'inspecteur Gould est tellement bon qu'il est devenu une sorte de héros. Sauf que le voilà face à une succession de crimes d'une nouvelle espèce. En l'espace de quelques cases, Du sang sur les mains amasse les gros clichés du genre et les souligne bien pour qu'on ne passe pas à côté d'eux. Cette méthode n'a qu'un seul but, mieux nous surprendre ensuite. Et c'est une véritable réussite, les crimes ne sont effectivement pas très communs, du vandalisme d'oeuvres d'art au meurtre curieux en passant par le vol de chaises collector, on ne comprend pas très bien ce qui se déroule devant nos yeux. Cette frivole et mélancolique ambiance dans ces affaires non élucidées se retrouve entrecoupée par un dialogue, phylactère blanc sur fond noir, entre l'inspecteur et un-e criminel-le sur la notion de crime et de justice. Un discours profond et philosophique est entamé, faisant contrepoint à l'apparente légèreté amusante des affaires en cours. Matt Kindt possède le talent pour déconstruire son récit, nous perdre et nous offrir un polar qui, sous ses apparences de roman de gare est une excellente intrigue labyrinthique et une réflexion bienvenue sur la notion du bon et du mauvais dans les actes.
Le lac de feu de Nathan Fairbairn et Matt Smith aux éditions EP)
Nous avons tous des péchés mignons et il faut être honnête dès le départ, c'est le cas ici. Le Lac de Feu n'est pas un chef d'oeuvre, bien loin de là, narration basique, personnages génériques, cette trilogie ne réinvente pas le genre de la bande dessinée et n'en a certainement pas l'objectif. Alors pourquoi cette trilogie se retrouve-t-elle en sélection si elle pue du bec ? Alors, déjà, je n'ai pas utilisé cette expression, et ensuite, cette série a une énorme qualité, sa note d'intention. Vous souhaitez la version longue ou la version courte ? Bon, optons pour la courte car le propos ne nécessite pas de version longue. Nous sommes en plein Moyen-Âge, pendant l'hérésie cathare et des extraterrestres particulièrement agressifs débarquent dans le piémont pyrénéen, en pleine Ariège (terre courage) pour être plus précis. Tout tient sur ces quelques mots-clés, des chevaliers affrontent des aliens, c'est aussi simple que ça et cela suffit à mon bonheur. Le récit va d'un point A à un point B, n'est qu'une immense aventure à l'action intense et emprunte plus que de raison à Alien et ses ersatz DTV. C'est propre graphiquement et ça tient la route, parfois il faut savoir profiter de ce qu'on nous propose et simplement savourer ce genre de petites surprises.
Les chroniques de Groom Lake de Ben Templesmith aux éditions Delcourt
Tout commence avec une sonde. Une sonde anale bien sûr. Et des extraterrestres évidemment, l'un va rarement sans l'autre (enfin si, tout dépend de l'univers où l'on vit). Forcément ce genre d'événement marque les esprits, surtout celui du sondé. C'est de cette façon que l'on rentre dans un récit qui n'aura aucune pause ensuite. Tout est réuni dans ce petit et unique volume sur l'invasion extraterrestre, l'abduction, le complot, les rednecks et que sais-je encore. Ne vous en faites pas, on y trouve quand même une histoire, elle sert essentiellement d'excuse aux auteurs pour réaliser les petits plaisirs graphiques de l'un et les jeux de langage de l'autre, tout en criant, hurlant, éructant une passion folle et dévorante pour les grands classiques de la Science-Fiction ! L'envie d'en dire beaucoup trop est forte, parler d'un robot géant, de petits gris qui ne sont pas des escargots et de nains, sympathique et improbable croisement entre une girafe, un aye-aye et un sharpei, mais ce serait trop en dire. Il est bon de profiter de la découverte de ce merveilleux petit comic et de sa conclusion terriblement jubilatoire tellement elle est honteusement facile. Les chroniques de Groom Lake devrait être un indispensable pour les amateurs du genre si, comme tout bonne personne, vous aimez dépenser une somme abordable pour des choses profondément inutiles telles que des livres.
Yoann