Au rang des groupes de black metal encartés chez Europe Écologie Les Verts (c’est en l’écrivant qu’on se rend compte que c’est n’importe quoi ce nom), le duo américain de Wolves In The Throne Room fait figure de précurseur pour avoir ouvert une voie bien peu arpentée, en tout cas, de cette manière, par cette frange extrême de cet art dont nous raffolons tous. Avec maintenant un peu plus de dix années de carrière au compteur, Wolves In The Throne Room nous a sorti une pelletée d’album et d’EP à la gloire d’une dame nature mythifiée, voire déifiée, plutôt qu’à celle galvaudée du grand cornu. Voilà la niche artistique que s’est creusée le groupe au fil de ses productions. Thématique prépondérante au cœur des textes, ces odes à la nature se sont vues retranscrites en un black metal minimaliste, souvent très éthéré, emprunt d’influences folk et dark ambiant appelant plus à la méditation et l’onirisme qu’à la révolte anticapitaliste. Cependant, même si être précurseurs dans un domaine aide inévitablement à assoir une certaine forme de réputation au sein d’un style, cela n’empêche pas de se retrouver, à l’occasion, parfois trop souvent, à côté de ses sandales en chanvre. Wolves In The Throne Room ne fait malheureusement pas office d’exception et je dois bien avouer que depuis la sortie de Celestial Lineage en 2011, les frères Weaver ne sont plus vraiment maitres du jeu. Encore moins avec, en 2014, l'arrivée du très dispensable Celestite. Sorte d’ego trip synthétique, né d’une autosatisfaction bien peu justifiée à l’endroit d’un Celestial Lineage aux abords enthousiasmant, mais ayant bien du mal à passer l’épreuve du temps. Cet album est une boursouflure toute mégalomane dont je me serai bien dispensé. Néanmoins, c’est bien de black metal dont nous parlerons et non pas de soupe de clavier, car avec Thrice Wovens l’amicale des naturalistes de Colombie-Britannique a retrouvé le chemin d’un style qu’elle maitrise déjà beaucoup plus.
Le duo revient donc vers ses premiers amours, optant pour une approche plus traditionnelle dans les structures qui composent ce Thrice Wovens. Quintessence absolue de toutes les influences ayant pu traverser la musique du groupe tout au long de sa carrière, l’ouverture sur le titre Born From The Serpent’s Eye en ravira plus d’un. Malheureusement, et on le verra très vite, c’est bien cela qui posera problème concernant le déroulement de cet opus. Quant à ce titre, porteur de mélodies sinueuses aux profondes réverbérations, typiques des productions de Wolves In The Throne Room, le savoir-faire du duo est à ce point palpable qu’il tend à devenir total. Nous ouvrant une immense fenêtre sur leur univers, emprunt d’une forme de religiosité toute dévouée à un environnement naturel propre à la crainte comme à l’émerveillement. Cette élégante introduction se verra agréablement troublée par une puissante décharge d’agression. Là ou jusqu’à présent les percussions ne venaient que ponctuer une ouverture éthérée, celles-ci se muent en une déferlante épique des plus envoutantes pour finalement se déliter dans de nouvelles circonvolutions mélodiques, entrecoupées d’interludes mirifiques portés par le chant térébrant d’Anna von Hausswolff. Propre à renvoyer Myrkur dans les limbes d’où elle s’est extraite (oui, cette attaque est gratuite).
Voilà, condensé sur un morceau d’un peu plus de neuf minutes, l’essentiel de ce que Thrice Wovens a réellement à nous offrir. Le titre Born From The Seprent’s Eye est à la perfection ce que le reste de l’album est à l’anecdotique. Cependant, que personne ne se méprenne, il subsiste quelques éléments encore très intéressants au cœur de ce que propose Wolves In The Throne Room sur le reste de cet opus. Le duo garde pour lui ces moments riches en ambiances primitives qui, l’espace d’une cascade de notes, vous font traverser d’antiques forêts en des temps immémoriaux. On sent le profond mysticisme d’un Nachthymnen d’Abigor où l’agressivité païenne d’un Nattens Madrigal d’Ulver planer lourdement au-dessus de la canopée, tout comme l’envie et la nécessité pour Wolves In The Throne Room de recentrer sa musique sur les particules élémentaires qui la compose. Mais, malheureusement, au cœur de cette accumulation de structures et d’idées, rien qui ne fasse monter la pression suffisamment, surtout après un titre aussi clairement séminal que celui ouvrant cet opus. C’est donc étrangement que le reste de Thrice Wovens embarque énormément d’intentions et de textures, dans l’absolu intéressantes, mais qui amènent cependant le duo à se perdre dans un enchevêtrement d’ambiances doucereuses, d’élans vengeurs trop prompts à se clôturer et d’envolées mélodiques manquant lourdement d’envergure, le tout venant inlassablement se répéter sans jamais déclencher chez moi ce magnétisme irrépressible et tant attendu. Même l’intervention, toujours captivante, de Steve Von Till (Neurosis) sonne un tantinet dérisoire au milieu de cet amoncellement de plans plus proche du brouillon que d’autre chose. Cet opus est pour moi victime d’un manque flagrant de finition, qu’on pourra mettre sur le dos d’une inspiration frisant la constante irrégularité, une envie peut être trop proéminente chez Wolves In The Throne Room de bien faire et une production « à l’étouffée » qui vient, la plupart du temps, clore le bec du moindre élan de grandeur. Dans le genre « green » metal je lui préférerai, et de très loin, l’empoisonnant dernier opus des jardiniers de chez Botanist, Collective: The Shape Of He To Come.
Tout de même heureux que Wolves In The Throne Room embrasse de nouveau pleinement sa nature, je suis malgré tout déçu par un opus qui, loin d’être un échec total, fera parti de cette longue liste d’album que je ne retiendrai pas, si ce n’est quelques instants fugaces disséminés ça et là et un morceau d’introduction magistral. J’ai passé un bon moment, languissant au coin du feu un soir au reflet d’automne, mais ces quelques quarante minutes ont glissé sur moi, telle une douce pluie, manquant profondément de la consistance nécessaire à faire de cet album une pièce maitresse de la discographie de Wolves In The Throne Room comme ont pu l’être Two Hunters ou Black Cascade.
Bandcamp: https://wolvesinthethroneroom.bandcamp.com
Site Web: http://wittr.com
Samuel