The Last house on dead end street fut sans doute l'un des films d'exploitation les plus étranges et les plus controversés des années 70.
Un retour en arrière s'impose. Au mitan de la décennie, une rumeur se répand dans les médias concernant l'existence de bobines clandestines vendues sous le manteau et montrant des tortures et des meurtres non simulés. Un long-métrage, intitulé Snuff, vient de créer le scandale en laissant planer le doute sur l'authenticité de la mise à mort d'une actrice dans son dernier quart d'heure. Les féministes manifestent devant les cinémas, la police est sur les dents, cherchant des preuves insaisissables. Et dans ce climat de terreur urbaine, un autre film, surgi de nulle part, vient encore amplifier la polémique. Impossible de savoir qui l'a réalisé, qui en sont les acteurs, son année de sortie officielle ni même dans quel pays il a été tourné. Caché derrière cet inquiétant anonymat, Last house on dead end street, en exploitant à l'instar de Snuff la légende des bandes 16mm prétendument tournés par Charles Manson, montre les agissements d'une bande de tarés aux ordres d'un réalisateur psychopathe qui fait humilier et massacrer ses collaborateurs devant sa caméra. Acteurs sous drogues (et ça se voit), scènes de perversions et de dissection d'un réalisme insoutenable, le film traumatise jusqu'à des durs à cuire comme Frank Henenlotter, qui le découvrit dans un cinéma new-yorkais sordide de la 42ème rue. Un snuff movie, vraiment ? Après plusieurs décennies de spéculations et de recherches, le pot aux roses est enfin découvert. En 2000, un homme appelé Roger Watkins se revendique publiquement l'auteur de la chose, artiste excentrique assumant au passage la paternité d'un autre long métrage tout aussi obscur, Shadows of the mind. Réédité depuis en DVD, Last house on dead end street (qui devait s'appeler à l'origine Cuckoo clocks from hell, tout un programme) demeure une expérience unique, une sorte d'odyssée psychédélique au cœur de la folie humaine. Un vrai film malade, au plein sens du terme.
À film hors-norme, album hors-norme. Le label américain Vombis Records réédite aujourd'hui la bande originale dans un son immaculé, après des années d'éditions pirates repiquées sur des copies VHS. Une telle attente s'explique par le caractère occulte du film, dont aucun crédit au générique ne mentionnait les titres des morceaux ni les compositeurs. Le métrage compilait en fait une vingtaine de thèmes plus ou moins volés dans le catalogue de la légendaire librairie musicale britannique KPM, qui à l'époque servait de « musique-au-mètre » pour le cinéma et la télévision, une mine pour tous les amateurs d'électronique et d'expérimental. Vombis Records présente le fruit d'un travail harassant puisque, en l'absence de track listing officiel, les concepteurs durent réécouter TOUTES les bandes de KPM pour retrouver, un par un, chacun des morceaux présent dans le film avant d'en racheter les droits au détail. Trois d'entre eux demeurent malheureusement toujours introuvables, mais le résultat en valait la chandelle. Collection de pièces électroniques anxiogènes, Last house... lève un coin de voile sur une poignée de musiciens méconnus des seventies : David Fanshawe, spécialiste des musiques ethniques, Eric Peters, Delia Derbyshire, Brian Hodgson et Ron Geesin, connu pour sa collaboration avec Pink Floyd sur Atom heart mother et avec Roger Waters en solo sur l'album Music from the body. Une nouvelle preuve en tout cas que l'audiovisuel de l'époque abritait une vraie armada de génies en terme de design sonore. Battements cardiaques oppressants, cris lugubres, synthétiseurs tantôt planants tantôt dissonants, chœurs hantés, l'album décline la bande son parfaite de film d'horreur qui s'écoute volontiers sans les images. L'ambiance psychiatrique est à peine interrompue par l'intrusion du seul morceau pop du disque, Beat me 'til I'm blue de Alan Hawkshaw, petit jerk à l'orgue Hammond qui ponctuait une séquence d'orgie. Mais on retombe l'instant d'après dans les ténèbres avec Dawn odyssey de Fanshawe, décliné une seconde fois sous le titre Transformation odyssey, saisissant morceau à l'ambiance mystique qui prend une toute autre dimension une fois sorti du contexte. On sait que Roger Watkins, en grand admirateur de Stanley Kubrick, choisit ce dernier en raison de sa ressemblance avec le Lux Aeterna de Ligetti sur 2001. Geesin, quant à lui, offre deux morceaux bruitistes proches de la musique concrète. Au final, un album particulièrement froid et inquiétant, aussi sombre que le film qu'il accompagne. Un trésor caché, à écouter dans le noir.
Sebastien Gayraud
The Last House on Dead End Street (1977)
Roger Watkins
Label : Vombis Records