Cet objet reste pour moi une poupée russe de mystères. Spinhead Sessions est tout d'abord la compilation des morceaux non sélectionnés lors de la composition de la bande originale du film Made in USA, morceaux crées dans les studios du même nom. Déjà, j'ai pendant un bon moment cru qu'en 86, on avait commandé à Sonic youth une réorchestration de la bande originale d'un film de 66 de Godard. J'ai ensuite compris mon erreur en parcourant le net pour voir que le film en question était un road movie de 87 (http://www.imdb.com/title/tt0095565/combined) où je ne vois aucune mention de Sonic Youth. Deuxième incompréhension totale : pourquoi ce disque est estampillé Sonic Youth alors qu'il collerait à la perfection à la série des SYR dans l'esprit comme dans la forme. Deux réponses s'offrent à nous : des histoires de droits vaguement obscurs (le groupe déchiré à l’extrême à ce moment ne souhaitait pas sortir ces pistes sur son propre label ?) ou le côté un peu plus hypé que représente une sortie sous ce nom. Dernière incompréhension : le choix du label (Goofin records : http://www.goofinrecords.com/) qui selon ses propres dires est le spécialiste du roots et du rockabilly. Trois raisons qui font que l'existence de l'objet en tant que tel reste une énigme totale.
Côté contenu en revanche, la galette renferme son lot de moments de bravoure et d’intérêt. Si l'on resitue, Sonic Youth sortait en 85 et 86 deux de ce que l'on peut considérer comme leurs meilleurs disques : Bad Moon Rising et Evol. Autant dire que les gaziers sortaient d'une période de productivité forte, avec une réelle évolution dans leur carrière. Exit ladite no wave des débuts, qui laisse de plus en plus la place à des escapades pop, des mélodies à fleur de peau et au feeling rock'n' roll voire punk/grunge qui ont fait plus tard leur nom. Ces pistes « volées » prennent donc tout leur sens si on imagine un groupe coincé le cul entre deux chaises : l'éclosion d'une scène nouvelle (dont ils portent l'étendard très rapidement) et la sortie d'une vision parfaitement arty de la musique (on vous rappelle que Thurston Moore et Lee Ranaldo ont d'abord fait leurs gammes aux côtés du grand Glenn Branca avant de mettre en pratique les exercices du compositeur de leur côté).
Le résultat est étonnant dans ces pistes. Déjà, c'est la première fois dans son histoire que le groupe a autant léché sa production et rendu aussi limpide la façon dont il sonnait. L'exercice de la bande originale leur aura donc été clairement bénéfique puisqu'il leur aura permis de travailler les escapades noisy moins brutes et beaucoup plus maîtrisées que certains déluges sonores. Il faut aussi remarquer que ces morceaux sont dix ans plus vieux que le premier disque de la série des SYR, Anagramma, série d'albums qui étaient le réel terrain d'expérimentation (de jeu aussi et de collaboration surtout) d'un groupe de plus en plus plébiscité par le public pour son côté « Goo, et on a fait signer Nirvana ».
Musicalement, on reconnaît la patte unique du groupe et son alchimie sonique. Les arpèges entrelacés, les non mélodies brodées autour d'une idée, les rythmiques plombées qui viennent vraiment se poser en cassure totale des lignes créées par Moore et Ranaldo. Deux longues pistes (Ambiant Guitar & Dreamy Theme et High Mesa) se partagent la part du roi, pistes où le groupe se permet de développer une atmosphère vindicative et éprouvante, à la fois lumineuse et pleine de contre-jours. Le reste, ce sont des idées, des cut-ups sonores plus volatiles mais tout aussi fulgurants (je pense au Wolf à la sonorité entre bluegrass et western spaghetti).
Au final un bien beau disque, qui nous rappelle malheureusement la fulgurance passée d'un groupe brillant un peu ridé sur sa fin de carrière (j'ai toujours trouvé que « jeunesse sonique » collait peu à leurs dernières mutations) mais, surtout, aujourd'hui disparu et éclaté dans divers projets qui ne sont au final que des pièces éparpillées de ce qui faisait l'unicité du son Sonic Youth. Un peu de folk chez l'un, un peu de riot punk chez l'autre, quelques riffs brillants chez son voisin, et des expérimentations étirées un peu partout, fade consolation pour nous, qui avons perdu nos belles idoles. Spinhead Sessions est notre lot de consolation.
Bertrand
Artiste : Sonic Youth
Album : Spinhead Sessions 1986
Sorti chez Goofin' en juin 2016
Genre : Jeunesse sonique