Jusqu’en 2015, outre notre copain à tous, Satan n’était que la réunion de quatre saltimbanques hystériques, plus ou moins anonymes, cantonnés à des représentations live punkisantes. Cette démarche radicalement underground, Satan a voulu la figer en un disque purulent de violence et nous a offert L’Odeur du Sang et, une chose est sûre, il faut écouter L’Odeur du Sang. Il faut goûter à l’euphorie que provoquent ces seize minutes de pure agressivité aussi tapageuses que jouissives. On ne remerciera donc jamais assez les Grenoblois d’avoir posé les couilles sur la table et vomi ce que l’underground français a de plus rance et de plus violemment jubilatoire.
Mais, en définitive, c’est quoi donc que Satan ? Satan, c’est comme un porno inter-espèces : sale et malsain. Satan c’est un violent mix de poésie clocharde hurlante, de vomissure punk et de haine noire métallique qui vient vous briser le crâne à coups de barre à mine rouillée. Là où L’Odeur du Sang avait particulièrement su tirer son épingle du jeu, c’est dans son jusqu'au-boutisme, absolument radical à tout niveau, frisant constamment l’hystérie, du lyrisme au mixage. Tout dans cet opus était là pour nous infliger un monumental passage à tabac tellement bon qu’on en deviendrait maso et, après une telle orgie de violence, toute la difficulté pour Satan était de venir confirmer ce bel effort en nous prouvant que cette première copie rendue ne tenait pas d’un génie éphémère.
Soyons clair dès le départ, l’écoute initiale d’Un Deuil Indien s’est avéré plus que compliquée pour moi, inconditionnel de leur premier opus . Satan ne fait pas table rase de ce qu’il incarne, garde l’essentiel de son caractère misanthropique et dégénéré, mais impose une série de choix semant le doute et la confusion chez l’auditeur s’attendant à prendre une raclée similaire à L’Odeur du Sang. C’est donc avec une quasi pointe de déception que s’est clôturé mon premier contact avec le nouvel opus des Grenoblois. « Qu’à cela ne tienne », me suis-je dit, il en faut plus pour m’arrêter et la galette n’a pas cessé de tourner depuis lors, histoire de décortiquer ce bruyant opus. En définitive, toujours aussi instantanées et radicales, atteignant, à l’occasion, un maximum de 2 minutes 30, synthétisant à merveille diatribe punk et riffing black metal, les compositions de cet album abandonnent quelque peu l’agressivité et l’hystérie qu’elles charriaient sur L’Odeur du Sang, pour imposer une rythmique plus lourde, plus grave et crasse. Et, là où sur le précédent opus de Satan, le mixage se voulait ultra incisif, ici il fait la part belle aux basses et à une batterie qui vient cogner sur vos tempes, sans arrêt, reléguant les riffs de guitares dans un arrière fond lointain et brouillon, mais non moins entêtant et blasphématoire. Derrière ce son cradingue, on ne retrouve rien de moins que Steve Austin, tête pensante de Today Is The Day dont il a appliqué la couleur sonore à ce nouvel effort des Grenoblois. On ne s’étonnera donc pas vraiment du ton global que prend le groupe sur Un Deuil Indien. Le parti pris est complètement radical et, en fin de compte, assumé avec panache. Les choix artistiques faits sur Un Deuil Indien, loin d’être incohérents ou inconsistants, posent beaucoup de questions et rendent cet opus bizarrement moins intelligible que son grand frère. Il n’a, cependant, pas moins de choses à dire et s’avère être bien plus original dans sa démarche comme dans sa structure.
Au bout du compte, Un Deuil Indien est un album beaucoup plus profond qu’il n’y parait, le groupe a amplement retravaillé ses atmosphères. Parfois à la frontière avec un noise crasseux, l’ambiance globale se rapproche un peu de ce que peut proposer un groupe comme Alkerdeel, dans un format beaucoup plus réduit ici. Et, finalement, c’est peut-être sur ce point que Satan pèche un tantinet sur cet opus. Car si ce format concis collait parfaitement aux compositions débridées de leur premier album, les ambiances plus poisseuses de celui-ci auraient peut-être mérité d’être travaillées sur de plus longues plages sonores. En effet, si on retrouve bien ce ton rageur, cette rythmique percluse de brutalité, cette ambiance encore plus malveillante et insidieuse qu’auparavant, ainsi que ce chant et cette prose possédés et alcooliques, on sent bien que, sur Un Deuil Indien, Satan en a encore sous le pied et on crèverait presque que des morceaux comme Crainquebille ou Totale Ecplise, se voient rallongés d’une petite minute, voire deux, histoire de définitivement perdre la tête. Il ne serait donc peut-être pas inintéressant pour le groupe d’essayer de tendre un peu plus vers des titres un poil plus longs, afin d’étendre avec plus de force son univers brinqueballant, souillé par le sang et la rouille.
Mais, même si tout n’est pas parfait et qu’une bonne série d’écoutes préalables m’a donc été nécessaire pour appréhender correctement cet opus, celui-ci s’est, en définitive, révélé bien meilleur qu’il ne l’avait laissé paraitre au départ. Tout sur cet album semble sonner bizarrement moins agressif, mais à la fois tellement plus brutal et sale. Satan brouille les pistes et, sous son verni fleurant bon le minimalisme et la simplicité, s’amuse au final à jouer un jeu bien plus subtil qu’il n’y parait. Là où L’Odeur du Sang s’avérait être un véritable défouloir, les Grenoblois prouvent, à qui veut bien l’entendre, qu’ils savent changer leur fusil d’épaule en proposant des compositions puissamment originales, en ne perdant rien de leurs caractères insidieux et malsains et se faisant plus tortueux et torturés que jamais.
Samuel
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