Je vis un réel casse-tête avec ce disque. J'ai tout d'abord eu grand espoir en cette sortie, la littérature des autres aidant. On nous parlait de la cure de jouvence du mastodonte, fêtant ses 30 ans en grande pompe, avec un retour aux sonorités de Trough silver in blood ou Times of Grace. J'ai même lu l'avis d'un journaliste respectable, qui enterrait la discographie entière de Neurosis et ce depuis The eye of every storm inclus (disque que je respecte énormément) et qui considérait ce Fires within fires comme le meilleur Neurosis depuis Times of Grace. Quand on pense aux deux lavements qu'ont été Given to the rising et Honor found in decay, poussif pour l'un, insipide pour l'autre, on a du mal à imaginer une suite correcte en 2016 pour un groupe qui semblait avoir fait le tour de sa musique unique. Pourtant, quand on pense à Neurosis, on oublie souvent les dernières années en forme de traversée du désert artistique, les milliers de disques folk/drone des deux frontmen, Shrinebuilder et consorts (on préfère se pencher sur le dernier Corrections house, How to carry a whip, bientôt dans ces colonnes). On a directement cet éclat nostalgique dans les yeux et ce grand respect pour ce groupe qui a su livrer des disques lourds en haine et en teneur apocalyptique durant la plus grande partie de sa carrière. On pense directement à ce groupe mutant qui a su créer une tendance musicale et influencer à chaque sortie quantités de suiveurs post quelque chose. On pense à ce mastodonte capable de livrer des disques éprouvants, rêches et à la beauté si pure au final.
Puis j'ai reçu la galette. J'y croyais donc. La première face aidant, les trois brûlots Bending light, A shadow memory et Fire is the end lesson nous ramenaient évidemment à ce goût de rouille, à cette fin du monde cocon. Steve Albini est toujours aux manettes, comme si c'était le seul homme sur terre capable d'insuffler cette justesse pachydermique aux rythmiques Neurosis depuis maintenant six disques. Les vocaux hurlés étaient de retour, les riffs sinueux aussi, les fausses accalmies étaient moins sirupeuses, l'orage était moins effet spécial hollywoodien. Les textures de Noah Landis étaient aussi de la partie, mais cette fois-ci avec beaucoup de justesse, sans le côté ornement Floydien cristallin. Sans pour autant plonger dans une violence sans fond, le groupe renouait effectivement avec ses premières ambiances, redorant même son blason barré dans la composition comme à l'époque Souls at zero (leur premier disque repoussant leurs limites après une jeunesse punk hardcore dorée).
Puis j'ai changé de face. Deux morceaux fleuves, notamment ce Reach sans fin, alambiqué de toutes parts, précieux dans la forme, dans les mid tempo, dans le retour des vocaux plus folk. La face est passée sans que je n'entende rien. La déception n'en était que plus extrême, vu la mèche qui semblait avoir été allumée à l'ouverture de ce disque. Puis c'était fini. Expéditif. Pas forcément un défaut en soi d'ailleurs, mieux valait un brûlot primitif, tribal, éreintant et court qu'une chiasse d'une semaine. Le sentiment d'inachevé était pourtant là, mal habitué que j'étais avec les grands albums de Neurosis, au contenu toujours d'une longueur salvatrice, car ces disques faisaient mal dans la durée, à l'image des morceaux. Cette seconde face en demi-teinte ne me laissait aucun souvenir, au point d'en revenir à la première et de lui trouver pas mal de défauts, notamment le côté syndrome Given to the rising, où le groupe rentrait dans pas mal de ses propres caricatures.
Puis je me suis dit que j'avais moi-même créé mon propre écrin pour ne pas apprécier ce disque, en connard prétentieux blasé, car peut être que de ne pas apprécier le dernier Neurosis était de bon ton, vu que la presse l'encensait. Alors j'ai insisté, et retrouvé des qualités folles sur cette première face, je me suis laissé prendre au jeu de la découverte, en essayant de balayer toutes mes idées reçues sur le groupe, et mon envie nostalgique d'y retrouver quelque chose. Effectivement, les morceaux sont excellents, certains moments de bravoure sont jubilatoires, la production trouve des sommets chaotiques assez uniques et bien sentis (les distorsions, les aigus, les ponts et les explosions de A shadow memory sont littéralement démentiels). Pourtant, ce disque laisse un goût d'inachevé, l'effet d'un orgasme sous plastique, quelque chose de retenu à l'image de ce format limite EP (oui, je repense au Sovereign qui précédait A sun that never sets) qui semble un peu insuffisant pour crier au retour des génies. Oui, je vis un réel casse-tête avec ce disque.
Bertrand
Artiste :Neurosis
Album : Fires within fires
Sorti chez Neurot Recordings en septembre 2016 (http://www.neurosis.com/)