La fin de l’année approchant à grands pas, c’est à cette période qu’on commence à jeter un coup d’œil fiévreux dans le rétroviseur des sorties, en se demandant si 2018 aura été un bon cru musical ou s’il serait plus judicieux de l’oublier. On fait le tri, on passe en revue les albums s’étant insinués entre nos oreilles et surtout on évalue le nombre d’écoutes au compteur pour voir lesquelles ressortent distinctement du peloton. Étant moi-même un profond maniaque, quant au classement de ma discothèque, je n’échappe clairement pas à cette règle. Ainsi au rang des disques les plus écoutés cette année, se détache avec une marge plutôt confortable, un album au titre évocateur, Antelux.
Une pochette sombre, sans logo ni titre, bardée d’une vague forme gris-bleu étalée de tout son long et surmontée d’une ombre se détachant faiblement de ce fond couleur nuit. Une paire d’yeux blancs, plantée en plein milieu d’une illustration inquiétante. D’aucuns y discerneront une étrange voie lactée, un cosmos noir bardé de constellations perdues dans les abîmes de l’espace. Là où les plus férus d’art percevront une version, admirablement pervertie, du Cauchemar de Füssli. Mahr, outre une créature du folklore européen, c’est également une formation musicale de l’inconnu, dernière manifestation en date du Prava Kollektiv (comptant parmi ses rangs les groupes Voidsphere et Arkhtinn). Entité toute aussi inconnaissable, promue par un label, Fallen Empire Records, qui aujourd’hui n’en finit plus de mettre fin à ses activités. Sorti en février 2018, il pourrait sembler bien tardif de vouloir chroniquer cet album. Pourquoi avoir attendu autant de temps ? Ne ferais-je pas mieux de m’attaquer aux dernières sorties en date ? Superflux n’est-il pas ce webzine extra à la pointe de l’actualité ? La réponse est non ! C’est qu’il en faut du temps pour assimiler un album comme Antelux, n’affichant pourtant « que » 46 minutes au compteur pour un total de 4 morceaux, l’objet ne semblait pas, au départ, présenter de difficultés insurmontables. Néanmoins, j’aime à prendre mon temps lorsqu’il s’agit de me faire un avis final.
Véritable cauchemar auditif, la musique de Mahr est à l’image de la pochette de son album. Émulation d’un Darkspace dans sa forme la plus ultime, ayant ingurgité jusqu’à la lie les horreurs d’un Skáphe sous amphétamine, pour ce premier effort, la formation énigmatique prend des accents autrement plus graves et écrasants. Ainsi, il transcende les frontières de ses étiquettes pour plonger l’auditeur dans les abysses d’un puits cosmique dont l’inertie colossale n’aurait d’égal que sa capacité à distordre la réalité. Si quelques mots suffiraient bien à décrire l’étalage bouillonnant de cet Antelux, il s’avère finalement bien difficile d’en définir la limite. Fermez les yeux et imaginez, un métal d’une noirceur absolue aux profonds revers doom, empli de claviers aux langueurs dissonantes et astrales, sortes de glas colossaux et interstellaires. Sentez les vibrations incessantes de cette danse exaltée de riffs, un temps éthérés et lointains, les suivants acérés et dantesques, toujours menaçants, déchirant le voile de vos rêves pour vous plonger dans un cauchemar où tout espoir semble banni. Laissez-vous envahir par cette chevauchée de percussions tumultueuses, accompagnant ces lenteurs glaçantes et ces envolées infernales. Tremblez d’entendre ces hurlements inhumains, ces souffles hideux, ces grondements rauques et interminables. Sorte de trou noir musical halluciné et boursouflé d’une énergie qu’il semble vouloir brûler pour enfin en finir, Antelux n’est pourtant jamais brouillon. Constamment sur la brèche, il mêle créativité et technicité tout en ménageant des espaces de minimalisme et d’efficacité magistraux. Rehaussant invariablement la puissance de chaque nouvelle pause atmosphérique, il est toujours juste dans ses circonvolutions, ne se perd jamais dans ses méandres tentaculaires. Générant des images hideuses comme pourrait le faire un Blut Aus Nord, il n’en est pas pour autant abscons ou hermétique au point d’en devenir impalpable. Bruyant et maladif, il en émane une brutalité radioactive propre à rompre les liaisons physiques d’un cosmos aux abois. Si certains groupes vous feront voyager aux confins de l’univers pour en admirer les recoins les plus sombres ou les plus lumineux, Mahr vous embarquera dans un vaisseau mental avec pour unique mantra l’annihilation totale de tout ce qui est.
Parmi les sorties à retenir, Antelux occupe définitivement une place de choix en cette année 2018. Véritable témoignage étouffant d’un cauchemar sidéral, cette formation inconnue qu’est Mahr offre un premier brûlot plus que convaincant, capable de mélanger terreurs oniriques et horreurs cosmiques, sorte de récit lovecraftien fait musique. Autrement plus marquant que bien des tentatives similaires, cet album aura su faire sa place dans le creux de mon esprit pour se hisser parmi les étoiles de cette année 2018.
Bandcamp : https://mahr-pk.bandcamp.com/album/antelux
Samuel