Encore une fois, la rubrique revient de manière sporadique. Les envies, les affinités, le goût du partage. Cette fois-ci, pas de fourre-tout en mode « je sors un disque des chiottes et essaye de voir le lien avec celui d’après », on essaye de se recentrer sur un genre en particulier : le mal nommé post metal. Le terme est déjà bâtard, marketing et goulûment fédérateur. Aaron Turner est à l'origine du terme mal bandé et surtout foncièrement hautain. Le post metal selon le gazier d'Isis irait au-delà, s'abreuverait de plus d'influences, serait musicalement plus crochu, plus cultivé, moins bourrougne, moins fan de foot, moins cheveux longs, plus lent, plus progressif, plus laborieux souvent aussi, plus pédant, moins punk au final.
Le terme paraît galvaudé et pourtant reste essentiel. On a souvent parlé de postcore, de post – hardcore pour ces groupes ayant franchi le punk en y intégrant des éléments musicaux/progressifs/intello. Considérez cet article comme une extension version métallique. Le punk a prouvé ses limites. D'abord techniques, ensuite politiques, mais surtout en terme de portée. Il était frais de s'étendre sur ses idéaux, de faire parler la poudre et la vitesse, de conchier la construction musicale sur fond de larsens, de distos et de pédales d'effets en tous genres. La plèbe avait son bastion. Black Flag l'avait prouvé. On pouvait revendiquer tout en se sortant les doigts plein de merde du cul. L'héritage anti-progressif avait sonné le tocsin. Finies les exhibitions phalliques sans fin de Floyd en perdition. Finies les répétitions live et les strip-tease de solfège sans âme. Avant tout, finies les revendications politiques sur fond de brûlots post punk enragés (je fais évidemment référence à toute la vague Washingtonienne dischord et érudits). Le message était passé, le manque de velléité artistique aussi. Les années 90 auront mangé des leçons de morale des aînés, des distros, du Do it Yourself, de l'engagement politique, de la fracture composée, viscérale.
Le post pseudo-metal est né ici même, à cet embranchement entre engagement artistique, éthique musicale, composition artistique et carrefour des genres. C'est le but de cet article, revenir sur les claques estampillées post-metal (mon dieu ce mot revient bien trop pour être approuvé par la street, surtout qu'il ne signifie rien). Les ficelles du métier , c'est un peu l'objectif de ce billet. A la fois révolutionnaire et rapidement consensuel, ce genre a brisé les barrières et en a crée immédiatement d'autres de par ses codes, proches de la consensualité (le post-rock), loin de la spontanéité (dont il est issu, labels et éthique DIY revendiquée). Une anomalie limitée aux années 90, qui n'a cessé de s'auto-rétracter pour ne faire rien, tout en créant des anomalies de type pépite, intemporelles.
Neurosis- Souls at Zero (1992)
Parler du genre sans commencer par ce pavé est une hérésie. Cet album est un rassemblement. Sorti par Jello Biafra (Dead Kennedy's) chez Alternative Tentacles il illustre à lui tout seul le pourquoi du comment de la mouvance. Ce disque n'a aucun repère, aucune limite dans le choix des influences. Ce disque est une pioche permanente dans le plus grand des calmes. Pour le plus grand des néophytes ce disque est une hérésie sans fin. Neurosis issu du punk pioche partout. Surtout Neurosis casse une grande partie des fantasmes et des barrières musiciennes de l'époque. Ils étaient punks et composent UN immense disque de métal. Ils ont digéré le métal punkisant des débuts pour mieux le renvoyer à la face du monde. Ils n'ont aucun complexe technique ni progressif car leur musique est progressive. Leur musique s'abreuve des technologies de l'époque (samples, vidéos, machines). La musique de Neurosis a muté dans un marasme sonique entre doom/sludge/punk/heavy/progressif qui conchie les frontières. La production est dantesque, lourde, massive. Souls At Zero s'abreuve d'anciens codes pour en créer de nouveaux. La croisée des chemins est ici. Black Sabbath aurait renié Nirvana (car oui, pour taper aussi fort en s'en secouant l'autre, peu de messieurs sont présents) avec la vitesse d’exécution du punk, le côté vilain et sournois en plus. Double vocaux hurlés, soli de partout, riffs de type mastodonte, rythmiques pachydermiques, compositions à tiroirs, explosions de haine. Les bases sont lancées sur ce disque, sans rémission ni limites.
https://youtu.be/gXdCWpgbX98 (Sterile Vision)
Isis – Oceanic (2002)
On en a parlé. Aaron Turner et Isis c'est un peu les inventeurs du courant, du terme, de la hype. Un label, une éthique, une vision, des influences, le tout recraché comme ils ont pu. L'éthique, elle est implacable. Des amoureux du son, amoureux de découvertes, création de label, amoureux des textures, des choix. Isis est trop important pour être résumé. Leur œuvre résume à elle toute seule la schizophrénie du genre, entre hyperactivité artistique, création débridée, éthique DIY incarnée par la création d'Hydrahead Records. Isis a à la fois touché le genre par sa grâce depuis Celestial et s'est aussi engouffré dans une zone morte en tuant quelque chose. Pour autant, si on peut passer nos nerfs sur Panopticon et Wavering radiant en chiant sur le post-rock léthargique qui a annihilé le genre, Oceanic est un indispensable de beauté sonique, de choix de productions, de morceaux de bravoure et surtout de proximité sonique viscérale aux limites du progressif chiant qui n'aura eu aucun égal. Et quand on entend Carry, on ne peut qu’ approuver.
Neurosis – Through silver in Blood (1996)
Il en fallait un deuxième. Pourquoi ? Car les suiveurs ont leur créateur. Je parlais de ce cassage en règle des genres de cette alchimie musicale qui réunissait métal, punk, progressif, doom, lenteur, lourdeur et savoir-faire. C'est difficile de choisir un de leurs disques post-mutation (à comprendre post Souls At Zero) et c'est pourtant celui ci qui sortira du lot. Pas le plus pesant de base, pas le plus imposant en putasserie mais pourtant le plus sinueux, le plus magique, le plus industriel probablement. TSIB conchie les machines, le métal indus, les boucles, la musique ethnique. C'est probablement ce qui en fait le plus compliqué à assimiler et à encaisser. Cet album est brut, dans le sens tribal, serpentesque, industriel, machinesque, gargantuesque. TSIB est les olympiades de la bouffe version metal, sans accalmie vengeresse de guise, sans aucun arpège bienveillant. Lancinant, acoustique, métallique, mauvais, plus lourd que jamais, conchiant son propre côté épique comme un disque de black mal digéré, comme un disque d'indus trop mélodique, comme un disque de musique ethnique pas assez dansant. Neurosis n'a probablement jamais égalé son côté malsain et pourtant sur composé que dans cet album. Symphonie de fin du monde que même Bergman ne renierait pas. Indispensable.
Amenra – Mass V (2012)
S'il devait ne rester qu'un représentant encore en vie du courant, ce serait les flamands d'Amenra. Choisir un de leurs opus est déjà une hérésie tant leur constance artistique est unique. On reconnaît Amenra directement, dés les premiers assauts riffesques, qui sont en fait d'énormes incantations chamaniques d'une lourdeur sans nom. Amenra passe à travers des constructions post chiadées du moment en gardant leur sens de la mise en douleur des morceaux. Les mélodies sont toujours implacables, les rythmiques sont patientes, les vocaux sont douloureux et libérateurs. Pourquoi choisir Mass V ? Probablement car le groupe a littéralement crée quelque chose de nouveau depuis Mass III et littéralement achevé le genre en le surclassant en cette année là. Ironie du sort les morceaux sont plus longs, plus caverneux, plus dissonants, moins immédiats peut être, plus lents encore. Quatre morceaux, quatre pièces de bravoure, faisant passer Verdi pour un compositeur d'actes foireux et foirés. Ironie ultime du disque, la présence de Scott Kelly sur Nowena/9.10 qui en plus de rendre un hommage des plus assumés dans la passation de pouvoir, livre un des morceaux les plus vivants de toute la musique moderne. Passage de micro, passage de flambeau, riffs épiques jamais égalés, violence aiguë et douleur cathartique, Amenra est ce qui se fait de plus beau dans un monde musicalement et cliniquement presque mort. Chaque retour de riff, chaque éclaircie mélodique, sur fond de décès vocaux, de déchirements sans fin, de tension cinématographique est une épreuve à encaisser. Penchez vous sur chaque galette du combo, rien n'est à jeter.
Cortez – Phoebus ( 2013)
Il est indispensable de parler de Cortez dans cette galette des rois. Plusieurs raisons.
Tout d'abord, leur activisme scénique a toujours été au cœur même de la scène, entre split partagés avec de grands noms (Plebeian Grandstand/Ventura), volonté de tourner avec les groupes phares niveau influences (Isis, Jesu, Iscariote) et surtout nationalité suisse importante dans tout un pan de la scéne hardcore des 90/2000. Serge Moratell, Unfold, Impure Whilelmina, les distros, les assos, les galères. Cortez était au carrefour de toute cette dynamique. Leur premier LP, Initial était aussi un brûlot sans nom, rythmiquement cassé de toutes parts, n'assumant pas totalement la propreté des darons du style en cherchant l'ultra-violence et le chaos ambiant des amours de jeunesses coreuses. Pourtant, transparaissait la mélodie sous tous les pores, la recherche de la lumière par des chemins perdus. Huit ans pour composer ce Phoebus, qui restera une énigme musicale à part entière. Trop violent, trop chaotique, trop alambiqué, trop travaillé peut-être, pas assez évident, faisant preuve de trop de maestria. Cortez synergise à lui seul toute une scène américaine de hardcore chaotique héritier des Converge et Botch tout en conservant sa part de luminosité mélodique et de riffing hors pair. Phoebus c'est aussi la plus grande addition de plans divins sortis de nulle part de toute la scène portée par une vélléité extrême, hors du commun, aucune envie de branlouiller des arpéges post- rock et une déconstruction mélodique du riffing à faire peur à tout compositeur en herbe. Cet album est clairement allé trop loin. Y revenir est chaque fois synonyme de rester béat d'admiration devant autant de justesse, de maîtrise et pourtant de langage du corps compris et appris. Viscéral, hors norme, massif, écrasant de technicité au service du vrai, Phoebus restera un disque jamais égalé.
Cult Of Luna – Salvation (2004)
Ce disque est important. Il marque selon moi la fin d'un cycle. Salvation a d’une certaine manière tué la mouvance en la sublimant. Il s'impose en diptyque parfait avec The eye of Every Storm de Neurosis sorti la même année. Cult of Luna joue sur la corde de la mixture post-metal/postcore/post rock/influences rock. Plus que d'y jouer ils signent là son arrêt de mort de par la propension à abuser des accalmies/montées en puissance/rythmiques claires sur fond de riffing qui fait mouche. Les Suédois font comprendre qu'ils ont plus que digéré Isis, plus que vomi Neurosis, plus qu'envie de composer des morceaux, ils font écho à une vague de musique en proie à de lourds doutes, plus vraiment capable d'honorer l'éthique DIY, signant sur des labels (Earache Records, mes aïeux, on aura vu pire), voulant proposer une production des plus propres pour sublimer la lourdeur et la musicalité de leurs plages. Salvation est à la limite du putassier, mais reste probablement trop excellent pour en devenir étronesque. Ce disque peut être une porte d'entrée, un virage progressif des années 2000, un virage musical et composé de la musique chaotique. Schizophréne à tout bout de champ, le disque oscille entre culture sans faille, boulimie du j'en fais trop mais pourtant l'erreur ne transparaît à aucun moment et surtout sincérité et émotion virevoltante. Le groupe a par la suite sombré dans sa propre névrose en ne trouvant plus l'alchimie totale entre compositions et âme et cherchant à trop bien faire, mais Salvation reste une épitaphe résonante du genre qui fera écho au très folk The eye of every storm de Neurosis. La fin d'un genre, en forme de mode d'emploi. Profitons encore.
Godflesh – Songs of Love and Hate (1996)
Il était impossible de ne pas faire figurer un des disques de Justin Broadrick dans cette galette des rois. C'est simple, si Neurosis a pu enflammer le baril des multi-influences et du carrefour stylistique, Broadrick avec tous ses projets n'aura fait que clamer son amour de la diversité et son désamour des étiquettes. Amoureux de post-punk, d'indus, de Killing Joke à My bloody Valentine en passant par la dub et l'industriel pur, le garçon aura été un réel vivier d'accouplements stylistiques repoussant les frontières de la musique dite metal. On aurait pu faire figurer Streetcleaner de par sa propension à fourmiller de clins d’œil, mais on préférera ressortir celui-ci pour son côté cliniquement hors du genre. Hommage à Leonard Cohen par son titre, recueil de métal indus faisant fi du rythme trash et des influences musicales punk en leur préférant une optique clairement dub et hip-hop, le disque est au rond point de toute l'oeuvre de Broadrick. Un hymne (quel jeu de mot!) une sorte de messie métallique plus marquant que Jesu lui même, trop taraudé par le besoin d'étirer les ambiances, défaut qu'il accentuera sur toute une partie de sa carrière saupoudrée de collaborations fleuves avec tout le gratin musical américain. Justin Broadrick est devenu grâce à Godflesh le mec que tu veux avoir dans ton carnet d'adresses quand tu possèdes une guitare et que tu veux trouver un son. Jarboe, Nothing, Shoegaze, dub, Scorn, Dälek, Postcore, post musique, collection fleuve de culture, je veux trop en faire car tout me botte. Godflesh restera avec ce disque en particulier une anomalie sans aucun lien ni sens, renvoyant tous les groupes de métal indus dans leur tombe mais surtout quantité de groupes hip-hop à leur psychanalyse. La rythmique et les machines ne sont pas l'apanage du déshumanisé. Godflesh touche en plein corps, là ou le cerveau se dandine à travers notre corps, la où le métal peut se jouer lentement mais sûrement.
Post-métal, postcore, renouveau des genres, copulation intrinsèque entre tout et son contraire, c'est un peu le choix musical qu'ont fait ces pionniers. Avant tout, une bande de passionnés, fan de musique, ouverts à tout ce qui se faisait, écoutant de tout et voulant tout mélanger en se contrefoutant des limites et des codes. Le POST metal est avant tout un terme journalistique pour poser des frontières et des barrières à toute une vague de musiciens voulant les rompre. Certains éclairs de génies ont fait éclater cette frontière, les suiveurs ont au final construit leur mur de Berlin en restant bloqués sur un confluent d'influences et en restant bloqués sur certaines galettes trop imposantes. On pense même aux façonneurs et libérateurs du genre, Neurosis qui sur Given to the Rising ont eux même plagié leur création monstrueuse en se soumettant à leurs propres codes. Un souffle d'air que ces disques, fruits de leur époque, de leur façon de consommer la musique grâce aux distros, à l'émergence d'assos, de salles, de facilité de tourner live et de proposer leur création. Le post originel est un vent d'air frais dans la façon de proposer de la création artistique en envoyant paître l'organisation sclérosée de l'industrie du disque de l'époque. Un courant d'air dans les codes, une envie de tout réunir, un besoin de le faire de manière isolée et façonné par ses propres mains, le post est une bouffée d’oxygène dans l'industrie de la culture. Malheureusement, peu de ses disciples ont compris le message initial, en le renfermant dans une mouvance.
Bertrand