J’ai toujours rêvé d’aller fouler les terres enneigées de l’Islande. Ses glaciers, ses volcans, ses geysers, ses fjords. Est-ce donc ce mélange de feu et de glace, cette fusion des opposés, cette rencontre, souvent violente, de ces deux éléments qui propagent, dans le cœur des Islandais, une telle ardeur à mettre en musique l’insanité, le malaise et l’horreur ? Soyons sérieux deux minutes, au 1er janvier 2018, sont recensées 355 620 personnes habitant l’Islande (merci l’ami Wiki), soit moins que la population toulousaine, et ce même sans compter l’agglomération… Pourtant, l’Islande est animée par l’une des scènes black metal les plus qualitativement prolifique de ces 10 dernières années. Entre Draugsól, Misþyrming, Naðra, Wormlust et autres Sinmara, la surreprésentation de groupes prédisposés à l'excellence semble totalement disproportionnée au regard du nombre d’habitants peuplant ce gros caillou gelé. La pureté de l’eau peut-être ? Qui sait ?
L’extrêmisme musical est donc chose commune pour nos amis du cercle polaire. Cela étant dit, que se passe-t-il lorsque l’un d’entre un, en l’occurrence l’unique tête pensante du groupe Wormlust, décide de s’acoquiner avec l’ultra productif et non moins états-unien, Alex Poole ? Si ce nom ne te dit rien, Superfluide de mon cœur, c’est qu’il est grand temps de jeter tes deux oreilles d’esthète musical sur un pan entier de la scène outre-Atlantique, qui semble tout aussi bien surarmé lorsqu’il s’agit de faire dégouliner la peur directement depuis une paire d’enceintes. Officiant lui-même dans quelques projets indubitablement dérangeant (Chaos Moon, Entheogen), le bonhomme n’en est pas à sa première copulation internationale avec ses correligionnaires du pays du père Noël et avait prouvé, à cette occasion, le potentiel cauchemardesque d’une telle alliance au travers du groupe Skáphe. Et si les plus impatients d’entre nous espéraient voir arriver le premier long format du, non moins international, groupe Martröð (avec du Antaeus dedans), c’est une tout autre entité qui a émergé de ces contrées lointaines et nimbées de neige au lendemain de noël, histoire de parfaire une fin d’année 2018 curieusement embouteillée de sortir black metal toutes plus exaltantes les unes que les autres.
Entamant les hostilités dans un tonitruant déferlement de violence, il me semble utile de clarifier un point à propos du premier né de Guðveiki. En effet, il ne faudra que quelques instants à n’importe quel auditeur pour prendre conscience de la tonalité impérieusement bordélique que prend ce Vængför dès ses premiers battements de cœur. Un bordel si totalement étouffant qu’il en viendrait même à refroidir certaines oreilles bien averties. Cela étant, cet opus n’en est pas moins vertigineusement hypnotique une fois correctement assimilé. Je t’enjoins donc, à te jeter voracement sur cet album pétrifiant d’horreur, de l’écouter, de l’écouter, de l’écouter, pour enfin le réécouter, sans aucune forme de privation ou de dégoût, mais bien de t’en délecter dans un délirant accès de fringale musicale. Car, oui, Vængför est dur, oui il te laissera en état de choc au fin fond d’un trou béant d’une noirceur insondable dès la première écoute, mais Vængför est surtout un véritable festin de jusqu'au-boutisme musical. Le combo américano-islandais a bien fait ses devoirs, il a digéré la totalité du catalogue extrême de ces 30 dernières années, des premiers Morbid Angel au dernier Portal, en passant par Darkthrone et autres Blut Aus Nord, pour accomplir un travail minutieux d’alchimiste et vomir un brûlot black metal d’une efficacité abyssale. Ce que propose Guðveiki sur ces 40 minutes est une véritable fusion maladive d’agressivité chaotique et de vagissement dégoulinant, ne levant que très rarement le pied, soutenant la cadence à l’aide d’une technicité absolument sidérante de justesse. Difficile de fixer son attention à l’écoute d’un tel magma sonore, on ne sait sur quoi se concentrer tant l’instrumentation dégoupille totalement dès les premières secondes, déchaînant un chaos d’une cohérence rare, à l’instar d’un batteur qui en fout littéralement partout ne nous autorisant ainsi, que très peu d’instants de répit. La lumière n’existe point dans le monde de Guðveiki, les quelques moments ménagés pour reprendre son souffle ne sont que mid-tempo et arpèges aux atmosphères cauchemardesques durant lesquels la coulée de lave ne s’arrête que dans le but de préparer le terrain pour être broyé par l’éruption suivante. Si le savoir-faire est bien là, la grande force d’un album de cette trempe et bien de ne jamais se fourvoyer dans une technique musicale qui se ferait au détriment de la portée émotionnelle d’une telle proposition artistique. Qu’il s’agisse des plans de percussions interstellaires, des riffs sinueux et tentaculaires ou du chant tordu et inhumain, le sentiment de malaise s’insinue partout, à chaque instant, sur chaque composition, à la moindre vibration, aux moindres silences, explorateur des ténèbres, sur la planète Vængför, tout n’est que sidération et cauchemar.
On savait Fallen Empire Records en fin de vie, on le savait également tout aussi mort que redoutable, cette fin d’année 2018 aura eu le mérite de prouver que le label nous réservait encore quelques très bonnes surprises pour ses funérailles. Avec un bon paquet d’écoute au compteur, il semble clair comme de l’eau de source islandaise, que ce premier opus de Guðveiki, s’il était sorti plus tôt dans l’année, aurait trusté, sans trop forcer, une quantité non négligeable de bilans et autres tops, le mien compris. Exercice compliqué que de faire coexister autant de chaos avec une telle cohérence, une telle homogénéité musicale, le pari est pourtant bien rempli pour une proposition ardue et pleine d’épines, mais non moins excellente et profondément habitée d’une atmosphère hallucinante de noirceur.
Samuel
Bandcamp : https://gudveiki.bandcamp.com
Label : http://www.fallenempirerecords.com